Culture

Les agents artistiques et leurs talents : ensemble et rivaux

Sociologue

Les mondes du cinéma et du spectacle vivant sont de plus en plus concurrentiels pour les acteurs… mais aussi pour leurs agents. Certaines dynamiques professionnelles et organisationnelles ont même pour effet d’accentuer cette atmosphère concurrentielle, construisant autour des acteurs et de leurs agents un contexte de rivalité.

Depuis la série télévisée Dix pour cent diffusée sur France Télévision entre 2015 et 2020, les agent.es artistiques sont devenu.es plus visibles médiatiquement. Pourtant, cette activité d’intermédiation est relativement ancienne[1]. Elle a émergé et est devenue incontournable à mesure que le monde du spectacle s’est structuré économiquement et segmenté professionnellement en séparant les fonctions artistiques des fonctions économiques. Les artistes étant dédiés à leur travail d’interprétation, de création, tandis que les agent.es représentent leurs intérêts en prospectant les emplois, en négociant les contrats mais aussi en contribuant à la valorisation professionnelle, commerciale et sociale de celles et ceux sur qui iels misent ou spéculent.

En France, selon le Syndicat Français des Agences Artistiques et Littéraires (SFAAL), on comptabilise aujourd’hui plus d’un millier d’agent.es artistiques. Ce nombre conséquent fait suite à une importante augmentation depuis l’obligation de déclaration d’activité sur le registre dédié du Ministre de la Culture (2010-2015) consécutif à la suppression de la licence nécessaire à l’établissement d’une agence (2010), jusque-là (et depuis 1972) accordée par une commission composée d’agents ministériels et de syndicats de professions du spectacle.

publicité

Cette déréglementation progressive de la profession dans le cadre de l’application de la directive Bolkestein dite « directive “services” de l’Union européenne (directive 2006/123/CE) » a conduit à une concurrence exacerbée entre des acteurs pour autant très disparates. La stratification économique du monde des agences manifeste de gros écarts de chiffre d’affaires et de revenus. La grille tarifaire des adhésions du Syndicat Français des Agences Artistiques et Littéraires (SFAAL) distingue quatre catégories dont les fourchettes sont de grande amplitude. Les moins fortunées ont un chiffre d’affaires inférieur à 100 000 euros, une deuxième catégorie s’étend de 100 000 à 500 000, la


[1]John Rosselli, The Opera Industry in Italy from Cimarosa to Verdi : the Role of the Impresario, Cambridge University Press, 1984; Emmanuelle Hubrecht, L’Opéra public et l’imprésario à Venise (1637-1680) : De l’art dramatique au spectacle, Thèse de doctorat, Paris 3, 1989 ; Delphine Naudier, Les Alchimistes de la valeur. Sociologie historique des agents artistiques, HDR, Université de Strasbourg, 2018 ; Laëtitia Corbière, Du concert au show business. Les imprésarios au cœur des échanges internationaux (1850-1930), Symétrie, 2024.

[2] Le terme de « talent » est fréquemment usité par les agent.es pour désigner de façon euphémisée leurs client.es artistes.

[3] Nombreux sont les sites d’agences qui mettent en avant l’actualité de leurs client.es sur scène, à la télévision ou au cinéma.

[4] Luc Boltanski, Laurent Thévenot, Les Économies de la grandeur, PUF, 1987.

[5] Melchior Simioni et Philippe Steiner, Comment ça matche ? Une sociologie de l’appariement, Presses de Sciences Po, 2022.

[6] Delphine Naudier, « Les agents artistiques du cinéma français : des intermédiaires (in)visibles », dans La Culture et ses intermédiaires : dans les arts, le numérique et les industries créatives, Laurent Jeanpierre et Laurent Roueff, Éditions des Archives Contemporaines, 2014.

[7] Ce pour quoi, le syndicat des agents artistiques (SFAAL) a rédigé un code des bonnes pratiques depuis une dizaine d’années pour réguler les relations professionnelles et donner des gages de moralisation de la profession.

[8] Joel M. Podolny, Status Signals : A Sociological Study of Market Competition, Princeton University Press, 2008.

[9] Marie-Hélène Lechien, Frédéric Neyrat et Audrey Richard, Sociologie de la relation de clientèle, Presses universitaires de Limoges, 2017.

[10] Lorsqu’un.e client.e quitte une agence, une négociation est faite entre l’agent qui le représente désormais et l’ancien.ne pour mettre en place le calcul des rétrocessions de pourcentage sur les projets signés jusqu’à la date de dép

Delphine Naudier

Sociologue, directrice de recherche au CNRS (Cresppa-CSU)

Notes

[1]John Rosselli, The Opera Industry in Italy from Cimarosa to Verdi : the Role of the Impresario, Cambridge University Press, 1984; Emmanuelle Hubrecht, L’Opéra public et l’imprésario à Venise (1637-1680) : De l’art dramatique au spectacle, Thèse de doctorat, Paris 3, 1989 ; Delphine Naudier, Les Alchimistes de la valeur. Sociologie historique des agents artistiques, HDR, Université de Strasbourg, 2018 ; Laëtitia Corbière, Du concert au show business. Les imprésarios au cœur des échanges internationaux (1850-1930), Symétrie, 2024.

[2] Le terme de « talent » est fréquemment usité par les agent.es pour désigner de façon euphémisée leurs client.es artistes.

[3] Nombreux sont les sites d’agences qui mettent en avant l’actualité de leurs client.es sur scène, à la télévision ou au cinéma.

[4] Luc Boltanski, Laurent Thévenot, Les Économies de la grandeur, PUF, 1987.

[5] Melchior Simioni et Philippe Steiner, Comment ça matche ? Une sociologie de l’appariement, Presses de Sciences Po, 2022.

[6] Delphine Naudier, « Les agents artistiques du cinéma français : des intermédiaires (in)visibles », dans La Culture et ses intermédiaires : dans les arts, le numérique et les industries créatives, Laurent Jeanpierre et Laurent Roueff, Éditions des Archives Contemporaines, 2014.

[7] Ce pour quoi, le syndicat des agents artistiques (SFAAL) a rédigé un code des bonnes pratiques depuis une dizaine d’années pour réguler les relations professionnelles et donner des gages de moralisation de la profession.

[8] Joel M. Podolny, Status Signals : A Sociological Study of Market Competition, Princeton University Press, 2008.

[9] Marie-Hélène Lechien, Frédéric Neyrat et Audrey Richard, Sociologie de la relation de clientèle, Presses universitaires de Limoges, 2017.

[10] Lorsqu’un.e client.e quitte une agence, une négociation est faite entre l’agent qui le représente désormais et l’ancien.ne pour mettre en place le calcul des rétrocessions de pourcentage sur les projets signés jusqu’à la date de dép