Savoirs

La colonisation néolibérale du droit par la langue (2/3)

Juriste

Il y a des mots, dans notre époque néolibérale, qui provoquent une adhésion instantanée. Dans ce second volet, nous nous penchons sur l’utilisation des registres sémantiques de la « confiance », de l’« authenticité » et du « risque » par le droit, qui ne sont pas de pure forme mais emportent avec eux des pratiques. Aujourd’hui, ces termes s’imposent à la manière de la loi.

Il est caractéristique de notre époque que le droit définit, dit et décide le monde avec les mêmes mots que les opérateurs économiques, les associations humanitaires ou encore les artistes, selon un langage traversant, qui parlerait à tous, et qui présente la particularité, soit de provoquer instantanément l’adhésion morale, soit de se référer à l’idée de nécessité, deux registres auxquels rien ne paraît pouvoir être opposé de manière légitime.

publicité

Les usages de ces mots ont pour effet d’écarter toute discussion sur ce qui est réellement voulu, sur les modalités qui sont organisées sous le couvert de ces mots, et enfin sur les effets du dispositif mis en place. Parmi les mots qui provoquent l’adhésion instantanée, qui pourraient relever du « sacré montré », on trouve aujourd’hui la transparence, la bienveillance, ou encore la confiance, pour ne pas parler de la vérité ou de la démocratie.

Le vocabulaire du droit, voie d’infiltration de la philosophie néolibérale

Le terme de « confiance » est sans doute celui qui a fait le plus florès dans l’espace social de ces trente dernières années. On le retrouve partout : dans les publicités commerciales, souvent de très grands groupes économiques (une grande enseigne française d’électro-ménager a capitalisé de la renommée sur l’idée d’un « contrat de confiance », nom qu’elle avait donné à l’ensemble des clauses auxquelles elle était simplement tenue par la loi), dans les pratiques de développement personnel (avoir « confiance » en soi), dans les baromètres de popularité politique (les électeurs sont invités à dire s’ils ont ou non confiance dans leurs élus ou dans leurs institutions), et, plus généralement, toute activité est censée aujourd’hui s’inscrire dans une idéologie de la confiance.

Le droit a participé de ce mouvement, en capitalisant lui aussi sur ce registre sémantique. Depuis quelques décennies, on peut en effet constater une pénétration exponentielle du registre de la confiance dans la sphère publique, visib


[1] Période inaugurée par la loi n° 2020-390 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19.

[2] C’est la raison pour laquelle le registre de la vérité n’a jamais autant été utilisé que pendant cette période.

[3] Disposition créée par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

[4] Notamment le règlement dit eIDAS, n°910/2014 du Parlement et du Conseil du 23 juillet 2014 sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur, entré en vigueur le 1er juillet 2016.

[5] Le livre de référence est évidemment celui de Ulrich Beck, La Société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, paru en Allemagne en 1986, traduit ensuite dans le monde entier et paru en France en 2001 aux éditions Aubier (trad. Laure Bernardi).

[6] Décision n° 2020-803 DC du 9 juillet 2020, considérants 21 à 26.

Lauréline Fontaine

Juriste, professeure de droit public et constitutionnel à la Sorbonne Nouvelle

Rayonnages

SavoirsDroit

Notes

[1] Période inaugurée par la loi n° 2020-390 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19.

[2] C’est la raison pour laquelle le registre de la vérité n’a jamais autant été utilisé que pendant cette période.

[3] Disposition créée par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

[4] Notamment le règlement dit eIDAS, n°910/2014 du Parlement et du Conseil du 23 juillet 2014 sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur, entré en vigueur le 1er juillet 2016.

[5] Le livre de référence est évidemment celui de Ulrich Beck, La Société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, paru en Allemagne en 1986, traduit ensuite dans le monde entier et paru en France en 2001 aux éditions Aubier (trad. Laure Bernardi).

[6] Décision n° 2020-803 DC du 9 juillet 2020, considérants 21 à 26.