Économie

Le circuit du Trésor : quand le système monétaire était au service de l’État

Économiste

Après la seconde guerre mondiale, le système de « circuit du Trésor » confiait directement des fonctions bancaires à l’État français, auprès duquel des institutions et des particuliers pouvaient détenir un compte courant. Cette organisation lui fournissait des flux de financement importants dont il a aujourd’hui perdu le bénéfice.

Il y a plusieurs raisons de ne pas s’alarmer du niveau de la dette publique française, même à son montant actuel de 3 400 milliards d’euros. L’une d’elles est que la dette publique n’est pas réellement destinée à être remboursée, mais plutôt à être durablement détenue par des épargnants en quête de placements sûrs pour leur patrimoine – et près de la moitié de ces détenteurs sont résidents français. Une autre est que le taux d’intérêt réel payé par l’État est actuellement négatif en raison de l’inflation : l’État a pu économiser sur ses dépenses réelles en empruntant[1].

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L’on peut y ajouter une raison de plus long terme, et moins souvent mise en avant : l’État est théoriquement capable de couvrir une partie de son déficit sans recourir à l’endettement à intérêt comme aujourd’hui mais en collectant des dépôts monétaires. Cette possibilité existait en France lorsque l’État faisait partie intégrante du système bancaire, dans le cadre d’une institution appelée « circuit du Trésor ». Pour comprendre ce mécanisme, il faut revenir sur le fonctionnement actuel du système bancaire.

La masse monétaire en France, qui compte l’intégralité de la monnaie détenue par les résidents immédiatement utilisable pour des paiements, est actuellement composée à 19 % d’espèces et à 81 % de dépôts sur des comptes courants bancaires, d’après les chiffres de juin 2025[2]. Ainsi, le système monétaire en France et dans la zone euro est aujourd’hui géré en totalité par des acteurs extérieurs aux États : les espèces sont mises en circulation par la Banque centrale européenne, juridiquement indépendante des États, et les comptes courants bancaires sont détenus par les acteurs non-bancaires auprès des banques, que celles-ci soient commerciales et privées comme la BNP Paribas, mutualistes comme le Crédit Agricole ou publiques comme la Banque Postale.

L’argent qui figure sur les comptes courants en banque est qualifié juridiquement de fonds à vue : c’est un type particulier de dette, due par


[1] François Geerolf, « La charge d’intérêt sur la dette publique, ou le mythe du gouffre financier », Marianne, 10 janvier 2025.

[2] Voir les statistiques de la Banque de France.

[3] Articles L.511-5 et L.511-6 du Code monétaire et financier.

[4] Aude Martin, « Faut-il taxer les superprofits des banques ? », Alternatives Économiques, 26 octobre 2023.

[5] Aurélien Espic, « La dette publique comme liquidité privée : l’expérience Poincaré (1926-1929) », Document de travail de la Banque de France, 2024.

[6] François Bloch-Lainé et Pierre de Vogüé, Le Trésor public et le mouvement général des fonds, PUF, 1960.

[7] Certains fonds déposés étaient toutefois rémunérés par des intérêts lorsqu’ils avaient été empruntés par les correspondants dans le cadre d’une politique de promotion des investissements publics.

[8] Données tirées des Comptes rendus des opérations de la Banque de France 1961 et 1972.

[9] Courant de théorie économique mettant le système monétaire au centre de son analyse, dans le sillage de John Maynard Keynes. Voir Marc Lavoie, Virginie Monvoisin et Jean-François Ponsot, L’économie post-keynésienne, La Découverte, 2021.

[10] Pour des explications détaillées de la vision post-keynésienne de la dette publique, voir l’ouvrage des Économistes atterrés, La Dette publique. Précis d’économie citoyenne, Seuil, 2021.

[11] Clara Leonard, Généalogie du système de financement public français : les doctrines de la dette publique de l’entre-deux-guerres aux années 1960, Thèse de doctorat, 2024.

[12] Benjamin Lemoine, L’ordre de la dette. Enquête sur les infortunes de l’État et la prospérité du marché, La Découverte, 2016.

[13] Sarah Kolopp, Le Trésor et ses mondes (1966-1995) : contribution à une sociologie relationnelle de l’État, Thèse de doctorat, 2017.

[14] Bruno Théret, « Dette publique et auto-répression monétaire des États », Savoir/Agir n°35, 2016.

[15] Voir le récit de l’ancien ministre des finances grec Yanis Varoufakis, « Leur seul objectif était de nous humilie

Tristan Guesdon

Économiste, Doctorant en sciences économiques à l'Université Sorbonne Paris-Nord

Notes

[1] François Geerolf, « La charge d’intérêt sur la dette publique, ou le mythe du gouffre financier », Marianne, 10 janvier 2025.

[2] Voir les statistiques de la Banque de France.

[3] Articles L.511-5 et L.511-6 du Code monétaire et financier.

[4] Aude Martin, « Faut-il taxer les superprofits des banques ? », Alternatives Économiques, 26 octobre 2023.

[5] Aurélien Espic, « La dette publique comme liquidité privée : l’expérience Poincaré (1926-1929) », Document de travail de la Banque de France, 2024.

[6] François Bloch-Lainé et Pierre de Vogüé, Le Trésor public et le mouvement général des fonds, PUF, 1960.

[7] Certains fonds déposés étaient toutefois rémunérés par des intérêts lorsqu’ils avaient été empruntés par les correspondants dans le cadre d’une politique de promotion des investissements publics.

[8] Données tirées des Comptes rendus des opérations de la Banque de France 1961 et 1972.

[9] Courant de théorie économique mettant le système monétaire au centre de son analyse, dans le sillage de John Maynard Keynes. Voir Marc Lavoie, Virginie Monvoisin et Jean-François Ponsot, L’économie post-keynésienne, La Découverte, 2021.

[10] Pour des explications détaillées de la vision post-keynésienne de la dette publique, voir l’ouvrage des Économistes atterrés, La Dette publique. Précis d’économie citoyenne, Seuil, 2021.

[11] Clara Leonard, Généalogie du système de financement public français : les doctrines de la dette publique de l’entre-deux-guerres aux années 1960, Thèse de doctorat, 2024.

[12] Benjamin Lemoine, L’ordre de la dette. Enquête sur les infortunes de l’État et la prospérité du marché, La Découverte, 2016.

[13] Sarah Kolopp, Le Trésor et ses mondes (1966-1995) : contribution à une sociologie relationnelle de l’État, Thèse de doctorat, 2017.

[14] Bruno Théret, « Dette publique et auto-répression monétaire des États », Savoir/Agir n°35, 2016.

[15] Voir le récit de l’ancien ministre des finances grec Yanis Varoufakis, « Leur seul objectif était de nous humilie