Entre dollarisation et cryptoïsation : le défi de la souveraineté monétaire dans les Suds
Depuis près d’une vingtaine d’années, les innovations technologiques ont bouleversé un élément fondamental de nos sociétés: la monnaie. Ces innovations ont amené de nouveaux acteurs à émettre leurs propres monnaies. Trois ont fait l’actualité[1]. Tout d’abord, les cryptomonnaies qui, grâce à la technologie blockchain, entendent permettre un accès à la monnaie décentralisé et non contrôlé par l’État.

Ensuite, les monnaies numériques privées, dont l’émission et la circulation seraient contrôlées par des entreprises privées, comme le projet Libra annoncé par Meta en 2019 et finalement avorté. Enfin, en réaction à ces initiatives privées et antiétatiques, de nombreux États envisagent le développement de leurs monnaies numériques de banque centrale (MNBC), afin de réaffirmer la souveraineté des États.
Ce foisonnement monétaire numérique menace de participer d’une reconfiguration des ordres monétaires nationaux. En effet, depuis la fin du 19e siècle, on avait assisté à une certaine uniformisation des écosystèmes monétaires, encouragée par l’émission et la diffusion de leurs propres devises par les États-nations modernes[2]. Or, cette réapparition de monnaies privées, sous forme numérique, menace de nous ramener à une période où il était commun que les gens naviguent entre de multiples monnaies, de valeurs inégales et émises par des acteurs divers[3]. À tel point que d’après le sociologue de la monnaie Nigel Dodd, nous sommes arrivés « à la fin d’une ère où la monnaie était monopolisée par l’État[4] ». Là où la théorie économique dominante a tendance à réduire la monnaie à un simple instrument fonctionnel des échanges, ce questionnement du monopole de l’État par ces nouveaux projets remet au centre de la discussion la dimension politique de la monnaie.
Il est néanmoins nécessaire de faire atterrir ces enjeux pour comprendre comment ils se donnent à voir dans des contextes concrets. En effet, que ce soit en positif ou en négatif, les récits médiatiques dominants s
