Écologie

Homo faber et logique des affaires

juriste et philosophe

À l’ère du dealer en chef, tout est négoce. Mais les contrats font-ils une politique ? Ne présupposant aucun collectif pour référence, ils confisquent la planète et privatisent la chose publique, servant la soif d’appropriation d’homo faber. La transition écologique manque d’anthropocentrisme en pensant cet individu responsable, « sapiens », alors qu’il est prédateur et consommateur.

Après le contrat social, au principe de notre utopique modernité politique, et le contrat naturel, au cœur de notre nouvelle identité terrestre selon Michel Serres, vint le pacte écologique, apparu à la faveur de l’élection présidentielle de 2007, si habilement proposé que (quasi) tous les candidats en vue furent « obligés » de le signer.

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Que dit cette permanence de la figure du contrat à propos de notre vision du politique : de couleur si juridique ? De notre conception de la justice : à ce point transactionnelle, structurée par les « deals » ? De notre appréhension de la nature : à ce degré apprivoisée dans ses humeurs et ses fruits, qu’elle en devient un « co-contractant », avec lequel négocier la transition écologique ?

Passion étrange pour la logique contractualiste, plus singulière encore à gauche, puisqu’elle fonde l’instrument principal des privatisations et justifie les plus vils négoces, jusqu’à commander aujourd’hui les grands mouvements du droit international par la « grâce » du « dealer ! en chef », Donald Trump, nous y reviendrons.

Une approche servant à merveille l’homme affairé, animé par un esprit d’appropriation, depuis John Locke au moins, au principe de nos systèmes politiques libéraux, à leur acmé par notre soumission au marché, plus même contrôlé depuis la survenue du néolibéralisme, une agitation économique en rien renouveau du libéralisme, bien plutôt son dévoiement en des démocraties illibérales et des acteurs économiques irresponsables : « s’approprier » les bénéfices mais « publiciser » les pertes, voilà son esprit.

Voilà la lâcheté érigée en vertu économique et politique, qui connaît ses prouesses et ses héros, les directeurs du Crédit suisse par exemple, deuxième établissement bancaire de l’Helvétie, aux bonus acquis… d’une entreprise en quasi-faillite ; qui connaît ses sentences proverbiales : de l’arrogance du too big to fail, à la croyance en un « marché » d’âme doté qui craint, souffre ou s’affole… Égarée la rationalité de


[1] Martin Heidegger, « La question de la technique », dans Essais et conférences, Gallimard, 1958 [1954]. L’« avenir fixe » doit être entendu selon un temps projectif théorisé par Jean-Pierre Dupuy dans son fameux Pour un catastrophisme éclairé. Nous faisons ce temps par nos anticipations, de la même façon que le prix d’un bien résulte du marché, lequel découle pourtant de nos projections. Sa fixité n’est perceptible qu’à posteriori, une fois que nous l’aurons rendue telle par nos comportements qui la conçoivent comme déjà arrêtée.

[2] André Lebeau, L’Enfermement planétaire, Gallimard, 2008, pour le premier ; Alain Papaux, Homo faber : Pourquoi nous ne ferons rien pour l’environnement, PUF, 2025, pour le second.

[3] Lord Byron, Caïn, acte I, scène I, cité par Auguste Villiers de l’Isle-Adam, L’Ève future, Gallimard, 1993, p. 234.

[4] Pour les Anciens, le droit était par nature « éthico-pédagogique » : il visait à exhausser la personne au rang de citoyen en acte, « responsable », littéralement devant « répondre de » la chose publique, la res publica. La « punition », soit la sanction, ne s’adressait qu’à ceux qui manquaient de « raison pratique », créatures inaptes à reconnaître le « bien commun » par elles-mêmes. Dans leur esprit, ces inadaptés seraient minoritaires. La faillite actuelle du droit de l’environnement les indique aujourd’hui majoritaire. La finalité du droit comme de la politique aurait-elle changé ? Assurément, passant du principe d’une orientation au « bien (solidairement) commun » au service des « intérêts (exclusivement) individuels » selon une « logique domestique » anti-républicaine (infra).

[5] Fabien Girard, La Propriété, la terre, les communs, Peter Lang, 2024, p. 67.

[6] Bruno Latour, La Fabrique du droit, La Découverte, 2002, p. 257.

[7] La fameuse mètis de Marcel Detienne et Jean-Pierre Vernant, Les Ruses de l’intelligence. La mètis des Grecs, Flammarion, 2009 [1974] : Intelligence pratique, savoir-faire, rouerie et autre « habileté », qua

Alain Papaux

juriste et philosophe, Professeur de Philosophie du droit de l’environnement à l’Université de Lausanne

Mots-clés

Néolibéralisme

Notes

[1] Martin Heidegger, « La question de la technique », dans Essais et conférences, Gallimard, 1958 [1954]. L’« avenir fixe » doit être entendu selon un temps projectif théorisé par Jean-Pierre Dupuy dans son fameux Pour un catastrophisme éclairé. Nous faisons ce temps par nos anticipations, de la même façon que le prix d’un bien résulte du marché, lequel découle pourtant de nos projections. Sa fixité n’est perceptible qu’à posteriori, une fois que nous l’aurons rendue telle par nos comportements qui la conçoivent comme déjà arrêtée.

[2] André Lebeau, L’Enfermement planétaire, Gallimard, 2008, pour le premier ; Alain Papaux, Homo faber : Pourquoi nous ne ferons rien pour l’environnement, PUF, 2025, pour le second.

[3] Lord Byron, Caïn, acte I, scène I, cité par Auguste Villiers de l’Isle-Adam, L’Ève future, Gallimard, 1993, p. 234.

[4] Pour les Anciens, le droit était par nature « éthico-pédagogique » : il visait à exhausser la personne au rang de citoyen en acte, « responsable », littéralement devant « répondre de » la chose publique, la res publica. La « punition », soit la sanction, ne s’adressait qu’à ceux qui manquaient de « raison pratique », créatures inaptes à reconnaître le « bien commun » par elles-mêmes. Dans leur esprit, ces inadaptés seraient minoritaires. La faillite actuelle du droit de l’environnement les indique aujourd’hui majoritaire. La finalité du droit comme de la politique aurait-elle changé ? Assurément, passant du principe d’une orientation au « bien (solidairement) commun » au service des « intérêts (exclusivement) individuels » selon une « logique domestique » anti-républicaine (infra).

[5] Fabien Girard, La Propriété, la terre, les communs, Peter Lang, 2024, p. 67.

[6] Bruno Latour, La Fabrique du droit, La Découverte, 2002, p. 257.

[7] La fameuse mètis de Marcel Detienne et Jean-Pierre Vernant, Les Ruses de l’intelligence. La mètis des Grecs, Flammarion, 2009 [1974] : Intelligence pratique, savoir-faire, rouerie et autre « habileté », qua