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La vulnérabilité nucléaire en face ou presque – sur A House of Dynamite de Kathryn Bigelow (1/2)

Politiste

Que se passerait-il si un missile balistique intercontinental armé d’une tête nucléaire était lancé contre un pays, en l’occurrence les États-Unis ? Cette question est à l’origine du nouveau film de Kathryn Bigelow. Dans le premier volet de cet article, nous examinons les procédés qu’elle utilise pour nous amener à regarder en face la vulnérabilité nucléaire et ses sources, mais aussi le déni dont elle fait l’objet.

«Vous avez eu de la chance capitaine. Pour cette fois. J’espère être sur un autre navire quand vous n’en aurez plus. » C’est ainsi que le Capitaine Polenin (Liam Neeson) avertit le Capitaine Vostrikov (Harrison Ford), dans K-19 : Le Piège des profondeurs (The Widowmaker), réalisé par Kathryn Bigelow en 2002. Parce que finalement, en 1961, le réacteur du sous-marin qui donne son titre au film n’a pas explosé ; ladite explosion n’a par conséquent pas été détectée par les ennemis américains qui n’en ont donc pas déduit qu’elle faisait partie d’une attaque à laquelle ils devraient riposter, comme le craignait une partie de l’équipage[1].

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En 2025, A House of Dynamite nous place à un autre moment décisif. Mais cette fois, il semblerait que la chance ait tourné. C’est la question qui a animé la réalisatrice, comme elle l’a expliqué lors de son passage à la Cinémathèque française début octobre : « Que se passerait-il si un missile balistique intercontinental armé d’une tête nucléaire était lancé contre un pays, en l’occurrence les États-Unis[2] ? » Le film se passe donc dans un 2025 alternatif, et nous donne à voir une visioconférence de sécurité nationale convoquée du fait de la détection d’un missile balistique, un vendredi matin d’été, à 9h33 heure de Washington. Nous la voyons trois fois de suite. Chacune des représentations se passe en temps réel sur 19 minutes de vol du missile, démultipliées car elles comprennent plusieurs lieux et personnages. Cette construction invite le spectateur à envisager des mondes nucléaires possibles.

Cet effort est essentiel du fait de notre condition présente et de la puissance de médiation de la culture populaire visuelle en la matière. D’une part, des explosions nucléaires non désirées restent possibles ainsi que la riposte. Elles peuvent affecter les 12 000 ogives nucléaires disposées sur la planète à ce jour. Cette réalité est incontestable, mais on n’arrive pas à y croire[3]. Cette difficulté à croire à ce que l’on sait nou


[1] À la mémoire du Professeur Patrizia Lombardo et de mon ami Richard Gordon. Merci à Sterre van Buuren, Yohann Chanoir, Juliette Séjourné et Roxana Vermel.

[2] Cité dans Florence Colombani, « Kathryn Bigelow, c’est de la dynamite », Le Point, 16 octobre 2025.

[3] Jean-Pierre Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé, Seuil, 2004, p. 142-143.

[4] Nous renvoyons ici à notre ouvrage Repenser les choix nucléaires, Presses de Sciences Po, 2022, chap. 6.

[5] Pour une analyse détaillée, voir notre « Imaginer la possibilité de la guerre nucléaire pour y faire face. Le rôle de la culture populaire visuelle de 1950 à nos jours », Cultures & Conflits n°123-4, 2021.

[6] Un parapluie protège de la pluie quand elle tombe, la dissuasion nucléaire ne peut pas ; un parapluie met celui qui en dispose à l’abri de toutes les sources possibles de pluie, la dissuasion nucléaire ne met à l’abri que de la frappe intentionnelle d’un ennemi dissuadable par des menaces de ripostes nucléaires ; la promesse du parapluie n’exige pas de celui qui la fait de recourir à la violence, la promesse de la dissuasion nucléaire si. Voir notre « Le parapluie et la panique », The Conversation, 30 mars 2025.

[7] Ce déplacement est étudié dans la première partie de notre ouvrage Repenser les choix nucléaires. On observera que les questions posées à la réalisatrice sur France Inter le 22 octobre dernier sont effectivement cadrées en termes de prolifération et pas de vulnérabilités liées aux arsenaux existants. La critique du film dans Première choisit aussi ce cadrage.

[8] J. Robert Oppenheimer, « Atomic Weapons and American Policy », Foreign Affairs, 1953, p. 529. Notre traduction.

[9] Pensons aux effets sanitaires et environnementaux des explosions nucléaires atmosphériques que l’on appelle pudiquement essais, dont les conséquences ont été longtemps minimisées, à la dépendance à des facteurs qui dépassent les procédures de contrôle pour éviter les explosions nucléaires non-désirées et aux effets sur la démocra

Benoît Pelopidas

Politiste, Professeur à Sciences Po (CERI)

Notes

[1] À la mémoire du Professeur Patrizia Lombardo et de mon ami Richard Gordon. Merci à Sterre van Buuren, Yohann Chanoir, Juliette Séjourné et Roxana Vermel.

[2] Cité dans Florence Colombani, « Kathryn Bigelow, c’est de la dynamite », Le Point, 16 octobre 2025.

[3] Jean-Pierre Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé, Seuil, 2004, p. 142-143.

[4] Nous renvoyons ici à notre ouvrage Repenser les choix nucléaires, Presses de Sciences Po, 2022, chap. 6.

[5] Pour une analyse détaillée, voir notre « Imaginer la possibilité de la guerre nucléaire pour y faire face. Le rôle de la culture populaire visuelle de 1950 à nos jours », Cultures & Conflits n°123-4, 2021.

[6] Un parapluie protège de la pluie quand elle tombe, la dissuasion nucléaire ne peut pas ; un parapluie met celui qui en dispose à l’abri de toutes les sources possibles de pluie, la dissuasion nucléaire ne met à l’abri que de la frappe intentionnelle d’un ennemi dissuadable par des menaces de ripostes nucléaires ; la promesse du parapluie n’exige pas de celui qui la fait de recourir à la violence, la promesse de la dissuasion nucléaire si. Voir notre « Le parapluie et la panique », The Conversation, 30 mars 2025.

[7] Ce déplacement est étudié dans la première partie de notre ouvrage Repenser les choix nucléaires. On observera que les questions posées à la réalisatrice sur France Inter le 22 octobre dernier sont effectivement cadrées en termes de prolifération et pas de vulnérabilités liées aux arsenaux existants. La critique du film dans Première choisit aussi ce cadrage.

[8] J. Robert Oppenheimer, « Atomic Weapons and American Policy », Foreign Affairs, 1953, p. 529. Notre traduction.

[9] Pensons aux effets sanitaires et environnementaux des explosions nucléaires atmosphériques que l’on appelle pudiquement essais, dont les conséquences ont été longtemps minimisées, à la dépendance à des facteurs qui dépassent les procédures de contrôle pour éviter les explosions nucléaires non-désirées et aux effets sur la démocra