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La vulnérabilité nucléaire en face ou presque – sur A House of Dynamite de Kathryn Bigelow (2/2)

Politiste

Dans A House of Dynamite, Kathryn Bigelow place au centre du récit les armes en elles-mêmes, plutôt que les personnes prenant les décisions. Elle crée un film courageux qui expose les contradictions internes et défaillances de son propre pays en matière de sécurité nationale, rompant avec une culture visuelle populaire d’invisibilisation de la vulnérabilité nucléaire.

Dans la composition de A House of Dynamite, saluons les gestes qui tentent de contraindre et désamorcer notre déni de la vulnérabilité nucléaire[1]. Tout d’abord, le scénario et la mise en scène sont conçus pour nous immerger au côté des personnages avec qui nous allons partager 19 minutes décisives. Cela se traduit par un rapport au temps particulier, au-delà de l’usage du temps réel. En effet, la caméra fait irruption dans le quotidien des personnages.

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Désamorcer le déni de la vulnérabilité des armes nucléaires dans A House of Dynamite

Le film se présente comme une intrusion de la caméra dans une tranche de vie dont nous avons manqué le début. Il s’ouvre ainsi sur une conversation téléphonique qui a déjà commencé entre un militaire sur la base de Fort Greely et sa compagne qui lui raccroche au nez. Ce désir d’immersion du spectateur se traduit par une caméra qui suit les personnages ; l’essentiel du film est porté par une caméra mobile, à l’épaule, au plus près des personnages, avec des zooms et dézooms intempestifs qui rappellent la présence de la caméra mais produisent un effet de documentaire sur le quotidien des personnages. Le critique britannique Mark Kermode observe ainsi justement que le travail du directeur de la photographie donne au film l’apparence d’un « documentaire terrifiant ».

Beaucoup de personnages ici pour un film relativement court, ce qui rend l’exercice plus difficile que dans les précédents films de la réalisatrice. Mais la répétition du même segment et de la musique dissonante de Volker Bertelmann permet d’augmenter l’effet d’immersion et d’empathie avec les personnages sans sacrifier à l’effet de réel. Ainsi, l’univers des professionnels de la sécurité nationale compte un nombre inhabituel d’acronymes et se distingue par une élocution rapide. À vouloir ralentir le débit de parole des personnages, on aurait sacrifié au réalisme par souci didactique, donc on va donner à entendre les informations à plusieurs reprises. Dans le derni


[1] À la mémoire du Professeur Patrizia Lombardo et de mon ami Richard Gordon.

[2] Jérôme d’Estais, Kathryn Bigelow. Passage de frontières, p. 156-7.

[3] Paul Slovic et Daniel Västfjäll, « The More Who Die, the Less We Care : Psychic Numbing and Genocide », dans Imagining Human Rights, De Gruyter, 2015.

[4] Les satellites ne détectent pas le lancement, perçu seulement grâce aux radars flottants.

[5] Cette réalité a été mise en lumière par le travail de recherche de Sharon Weiner et Moritz Kütt.

[6] Voir notre « Imaginer la possibilité de la guerre nucléaire » p. 201-207.

[7] Je dois cette observation à Yohann Chanoir que je remercie chaleureusement.

[8] L’intérêt de Bigelow pour la question de la virilité et l’interrogation de la transformation du héros en tueur sont connus. Jérôme d’Estais, Kathryn Bigelow, p. 12, 34-36.

[9] Le monteur Kirk Baxter explique que cette répétition n’était pas dans le scénario mais a été décidée au montage.

[10] « Kathryn Bigelow : “Mon cinéma a toujours été politique” », Le Figaro, 23 octobre 2025.

[11] Jérôme d’Estais, Kathryn Bigelow. p. 94.

[12] John Mecklin, « A conversation with Kathryn Bigelow, director of “A House of Dynamite” and screenwriter Noah Oppenheim », Bulletin of the Atomic Scientists, 23 octobre 2025. Pour une étude de ce problème dans la culture populaire visuelle post-1990, voir notre « Imaginer la possibilité de la guerre nucléaire » pp. 194-201.

[13] Jean-Paul Engélibert, Fabuler la fin du monde. La puissance critique des fictions d’apocalypse, La Découverte, 2019, p. 114-115.

[14] Cet effet est détaillé dans notre « Imaginer la possibilité de la guerre nucléaire pour y faire face », p. 184, 190.

[15] Sur ces effets de hantise dans l’histoire du cinéma, voir notre « Imaginer la possibilité de la guerre nucléaire » pp. 185-7.

[16] Correspondance avec Annie Jacobsen, 21 octobre 2025. Nous n’incluons délibérément pas le Oppenheimer de Christopher Nolan (2023) dans cette liste pour des raisons expliquées dans un entre

Benoît Pelopidas

Politiste, Professeur à Sciences Po (CERI)

Notes

[1] À la mémoire du Professeur Patrizia Lombardo et de mon ami Richard Gordon.

[2] Jérôme d’Estais, Kathryn Bigelow. Passage de frontières, p. 156-7.

[3] Paul Slovic et Daniel Västfjäll, « The More Who Die, the Less We Care : Psychic Numbing and Genocide », dans Imagining Human Rights, De Gruyter, 2015.

[4] Les satellites ne détectent pas le lancement, perçu seulement grâce aux radars flottants.

[5] Cette réalité a été mise en lumière par le travail de recherche de Sharon Weiner et Moritz Kütt.

[6] Voir notre « Imaginer la possibilité de la guerre nucléaire » p. 201-207.

[7] Je dois cette observation à Yohann Chanoir que je remercie chaleureusement.

[8] L’intérêt de Bigelow pour la question de la virilité et l’interrogation de la transformation du héros en tueur sont connus. Jérôme d’Estais, Kathryn Bigelow, p. 12, 34-36.

[9] Le monteur Kirk Baxter explique que cette répétition n’était pas dans le scénario mais a été décidée au montage.

[10] « Kathryn Bigelow : “Mon cinéma a toujours été politique” », Le Figaro, 23 octobre 2025.

[11] Jérôme d’Estais, Kathryn Bigelow. p. 94.

[12] John Mecklin, « A conversation with Kathryn Bigelow, director of “A House of Dynamite” and screenwriter Noah Oppenheim », Bulletin of the Atomic Scientists, 23 octobre 2025. Pour une étude de ce problème dans la culture populaire visuelle post-1990, voir notre « Imaginer la possibilité de la guerre nucléaire » pp. 194-201.

[13] Jean-Paul Engélibert, Fabuler la fin du monde. La puissance critique des fictions d’apocalypse, La Découverte, 2019, p. 114-115.

[14] Cet effet est détaillé dans notre « Imaginer la possibilité de la guerre nucléaire pour y faire face », p. 184, 190.

[15] Sur ces effets de hantise dans l’histoire du cinéma, voir notre « Imaginer la possibilité de la guerre nucléaire » pp. 185-7.

[16] Correspondance avec Annie Jacobsen, 21 octobre 2025. Nous n’incluons délibérément pas le Oppenheimer de Christopher Nolan (2023) dans cette liste pour des raisons expliquées dans un entre