Santé

Dépasser la guerre contre les microbes

Sociologue, Sociologue

La semaine mondiale de sensibilisation à l’antibiorésistance se termine. Sommes-nous sur la voie de résoudre ce problème qui risque, d’ici quelques dizaines d’années, de rendre mortelles des infections banales ? Il ne suffit pas de dénoncer la mauvaise utilisation individuelle par les patients, médecins et vétérinaires. Il faudrait plutôt interroger la dépendance aux antibiotiques de nos systèmes sanitaires et agro-alimentaires. Et même considérer autrement notre collaboration avec le vivant.

Depuis une dizaine d’années se tient en novembre la semaine mondiale de sensibilisation à l’antibiorésistance – autrement dit, la capacité d’une bactérie à résister aux effets des antibiotiques –, instaurée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

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En France, les seuls messages de sensibilisation auxquels les patients sont confrontés n’expliquent cependant jamais les raisons de la montée de l’antibiorésistance, de la massification des usages d’antibiotiques en santé et en agriculture, et ne font jamais référence aux efforts qui sont menés pour tenter d’enrayer le problème. Les campagnes insistent en revanche sur la responsabilité, voire la culpabilité, des patients : ils utiliseraient les antibiotiques à mauvais escient et seraient donc responsables de cette « pandémie silencieuse ».

On se souvient tous de la campagne « les antibiotiques, c’est pas automatique » organisée par la Caisse nationale d’assurance maladie en 2002. On y comprenait, en creux, le fait que les antibiotiques sont inefficaces contre les infections virales. Malgré l’efficacité incertaine de ce type de message, les campagnes d’aujourd’hui ne sont pas très différentes. Elles prennent désormais la forme d’affiches qu’on peut croiser à la pharmacie ou dans les salles d’attente des cabinets médicaux. On y voit alternativement les photos d’une femme qui tousse, d’un homme qui éternue, d’un bébé et d’une enfant qui pleurent, accompagnées du message « Elle.il peut vous le confirmer, les antibiotiques ça ne marche pas contre sa bronchite / sa grippe / sa bronchiolite / son angine ».

Ce que ces campagnes ont en commun, c’est qu’elles présentent l’antibiorésistance comme un problème individuel. Les médecins prescriraient trop, parfois sous la pression de leurs patients (ignorants), lesquels ne seraient pas satisfaits de quitter la consultation médicale sans une telle ordonnance. À de nombreux égards, ces campagnes illustrent le succès des approches comportementalistes promues par certains éco


[1] Ranya Mulchandani, Yu Wang, Marius Gilbert, et Thomas P. Van Boeckel, « Global Trends in Antimicrobial Use in Food-Producing Animals: 2020 to 2030 », PLOS Global Public Health 3 no 2, 2023.

[2] Laurie Denyer Willis et Clare Chandler, « Quick Fix for Care, Productivity, Hygiene and Inequality: Reframing the Entrenched Problem of Antibiotic Overuse », BMJ Global Health n°4, 2019.

[3] Henri Boullier et Nicolas Fortané, Antibiodépendance. L’impossible transition de l’élevage industriel, Presses de Sciences Po, 2025.

[4] Scott H. Podolsky, The Antibiotic Era: Reform, Resistance, and the Pursuit of a Rational Therapeutics, Johns Hopkins University Press, 2015.

[5] Delphine Berdah, « Pour une autre histoire de la “modernisation” des pratiques d’élevage : des antibiotiques dans les rations pour stabiliser les systèmes sociotechniques pharmaceutiques industriels français et britannique après 1945 », dans Histoire des modernisations agricoles au XXe siècle, Presses Universitaires de Rennes, 2021.

[6] Clare I. R. Chandler, « Current Accounts of Antimicrobial Resistance : Stabilisation, Individualisation and Antibiotics as Infrastructure », Palgrave Communications 5, no 1, 2019.

[7] Charlotte Brives, Face à l’antibiorésistance, une écologie politique des microbes, Éditions Amsterdam, 2022 ; Raj Patel et Jason W. Moore, Comment notre monde est devenu cheap: une histoire inquiète de l’humanité, Flammarion, 2018.

[8] Christopher J. L. Murray, Kevin Shunji Ikuta, Fablina Sharara, et al. « Global Burden of Bacterial Antimicrobial Resistance in 2019: A Systematic Analysis », The Lancet 399, no 10325, 2022.

[9] Mohsen Naghavi, Stein Emil Vollset, Kevin S. Ikuta, et al. « Global Burden of Bacterial Antimicrobial Resistance 1990–2021: A Systematic Analysis with Forecasts to 2050 », The Lancet 404, no 10459, 2024.

[10] Hannah Landecker, « La résistance aux antibiotiques et la biologie de l’Histoire », Revue d’anthropologie des connaissances 15, no 3, 2021.

[11] Charlotte Brives, Plur

Henri Boullier

Sociologue, Chargé de recherche au CNRS

Nicolas Fortané

Sociologue, Chargé de recherche à l’INRAE

Rayonnages

SociétéSanté

Notes

[1] Ranya Mulchandani, Yu Wang, Marius Gilbert, et Thomas P. Van Boeckel, « Global Trends in Antimicrobial Use in Food-Producing Animals: 2020 to 2030 », PLOS Global Public Health 3 no 2, 2023.

[2] Laurie Denyer Willis et Clare Chandler, « Quick Fix for Care, Productivity, Hygiene and Inequality: Reframing the Entrenched Problem of Antibiotic Overuse », BMJ Global Health n°4, 2019.

[3] Henri Boullier et Nicolas Fortané, Antibiodépendance. L’impossible transition de l’élevage industriel, Presses de Sciences Po, 2025.

[4] Scott H. Podolsky, The Antibiotic Era: Reform, Resistance, and the Pursuit of a Rational Therapeutics, Johns Hopkins University Press, 2015.

[5] Delphine Berdah, « Pour une autre histoire de la “modernisation” des pratiques d’élevage : des antibiotiques dans les rations pour stabiliser les systèmes sociotechniques pharmaceutiques industriels français et britannique après 1945 », dans Histoire des modernisations agricoles au XXe siècle, Presses Universitaires de Rennes, 2021.

[6] Clare I. R. Chandler, « Current Accounts of Antimicrobial Resistance : Stabilisation, Individualisation and Antibiotics as Infrastructure », Palgrave Communications 5, no 1, 2019.

[7] Charlotte Brives, Face à l’antibiorésistance, une écologie politique des microbes, Éditions Amsterdam, 2022 ; Raj Patel et Jason W. Moore, Comment notre monde est devenu cheap: une histoire inquiète de l’humanité, Flammarion, 2018.

[8] Christopher J. L. Murray, Kevin Shunji Ikuta, Fablina Sharara, et al. « Global Burden of Bacterial Antimicrobial Resistance in 2019: A Systematic Analysis », The Lancet 399, no 10325, 2022.

[9] Mohsen Naghavi, Stein Emil Vollset, Kevin S. Ikuta, et al. « Global Burden of Bacterial Antimicrobial Resistance 1990–2021: A Systematic Analysis with Forecasts to 2050 », The Lancet 404, no 10459, 2024.

[10] Hannah Landecker, « La résistance aux antibiotiques et la biologie de l’Histoire », Revue d’anthropologie des connaissances 15, no 3, 2021.

[11] Charlotte Brives, Plur