« La traversée » ou l’art de réparer le monde
Il est vieux, il a du mal à marcher, et pourtant il avance à grands pas vers un champ d’éoliennes, suivi par son réalisateur, caméra à l’épaule, en sueur, qui ronchonne : « J’en ai marre ! C’est Don Quichotte suivi par Sancho Pancha ». Les anciens rebelles, Daniel Cohn-Bendit et Romain Goupil, l’ancien anarchiste et l’ex-trotskiste n’auraient pas pu trouver une image plus complexe pour illustrer leur projet commun actuel, un roadmovie sur la France invisible cinquante ans après Mai 68. Quels sont les moulins à vent dans cette picaresque moderne et comment arriveront-ils à les combattre ?
Le film démarre sur une scène d’une beauté monumentale, où l’on voit des sidérurgistes aux masques dorés, verser des métaux liquides dans des moules, transporter les démoulages dans des gigantesques fourneaux et rire avec Daniel Cohn-Bendit, qui s’exclame : « Putain ! C’est chaud ». Dans les gouffres de cet enfer joyeux, les ouvriers ne sont plus des moutons ou des Sisyphes désenchantés, mais des véritables héros des temps post-postmodernes, qui semblent vouloir dire : « le temps est venu de ressouder ce monde brisé ».
Si l’héritage de 68 est quelque part, il est là, dans la croyance de ces individus en leur propre capacité de changer le monde.
Mais qu’est ce qui a brisé ce monde ? La pensée postmoderne ? Le triomphe d’un capitalisme mondialisé qui essaye d’abolir la lutte des classes en faveur d’une extension des luttes déterritorialisées ? Peu importent les raisons. Ce qui compte, c’est que cette France oubliée, semble vouloir lutter contre la fatalité, dans un renouvellement tardif du génie français. Au premier abord, on dirait que tout va bien. Il ne s’agit pas d’un tout va bien ironique à la Godard, mais d’un tout va bien, réel, au moins chez certains, qui arrivent à s’en sortir face au chômage en créant des fabriques de crème glacée qui cartonnent, quand d’autres arrivent même à penser au futur et construisent des écoles alternatives pour les générations à venir. La