Littérature

Apprendre à perdre son temps dans La recherche

Sociologue

« Proust sociologue », « Proust à la plage », Marcel ne cesse d’inspirer ses lecteurs contemporains. Deux nouveaux essais, signés Dubois et Faerber, apportent des pistes de lecture pour s’attarder sur la dimension littéraire et sociale de sa Recherche du temps perdu.

À la recherche du temps perdu, selon la lecture qu’en avait donné Deleuze dans Proust et les signes, illustre l’apprentissage du déchiffrement des signes qui nous entourent : si certains nous apparaissent comme superflus, déraisonnables ou littéralement insignifiants, ils permettent peu à peu de comprendre les règles du jeu social. Cette lecture de La recherche comme un long détour vers la littérature et un récit de l’apprentissage du monde social a irrigué une partie de la critique littéraire contemporaine. On en trouve des échos dans deux essais de Jacques Dubois et de Johan Faerber, qui viennent s’ajouter à ce qu’il est désormais convenu de présenter comme l’interminable bibliographie consacrée à Proust – bibliographie qui, comme l’a récemment souligné Nathalie Quintane, dépasse avec plus ou moins de bonheur le « petit noyau », le « petit groupe », le « petit clan » des proustiens.

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Pour Dubois, il s’agit de prolonger la réflexion sur le « sens du social » de Proust entamée avec le travail de « critique-fiction » autour du personnage d’Albertine Simonet. C’est Gilberte, une autre figure féminine – et un autre amour de Marcel – qui domine la réflexion dans Le roman de Gilberte Swann. Proust sociologue paradoxal. Comme le montrent de nombreux travaux, à commencer par ceux de Dubois[1], la question du croisement entre le littéraire et le social, sans cesse reposée, traverse l’histoire de la littérature autant que celle de la sociologie. La recherche a été investie dans ce sens à plusieurs reprises : Vincent Descombes a remarqué le « flair sociologique » de Proust, Livio Belloï s’est saisi de La recherche pour y observer le « théâtre du monde », Catherine Bidou-Zachariasen a fait de Proust un penseur du changement social, Jean-François Revel l’a rapproché de Thorstein Veblen, et Pierre Zima a appliqué à La recherche la méthode d’analyse sociologique de Lucien Goldmann. Pierre Bourdieu, qui a préféré Flaubert à Proust pour construire sa sociologie de la litt


[1] Voir par exemple Jacques Dubois, Les romanciers du réel, Paris, Seuil, 2000 ; Stendhal : Une sociologie romanesque, Paris, La Découverte, 2007.

[2] Voir aussi F. Champy, « Littérature, sociologie et sociologie de la littérature. À propos de lectures sociologiques de À la recherche du temps perdu », Revue française de sociologie, 2000, 41-2, p. 345-364 ; et G. Sapiro et M. Macé, journée d’études Proust et les sciences sociales : allers-retours, « Le Proust de Bourdieu », 27 mars 2015, Pôle Proust, CRAL, EHESS-CNRS .

[3] Voir Didier Eribon, Théories de la littérature. Système du genre et verdicts sexuels. Paris, PUF, 2015.

[4] Jérôme Meizoz, Postures littéraires. Mises en scène modernes de l’auteur. Genève, Slatkine, 2007.

Lucile Dumont

Sociologue, doctorante à l'EHESS - Centre Européen de Sociologie et de Science Politique

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Notes

[1] Voir par exemple Jacques Dubois, Les romanciers du réel, Paris, Seuil, 2000 ; Stendhal : Une sociologie romanesque, Paris, La Découverte, 2007.

[2] Voir aussi F. Champy, « Littérature, sociologie et sociologie de la littérature. À propos de lectures sociologiques de À la recherche du temps perdu », Revue française de sociologie, 2000, 41-2, p. 345-364 ; et G. Sapiro et M. Macé, journée d’études Proust et les sciences sociales : allers-retours, « Le Proust de Bourdieu », 27 mars 2015, Pôle Proust, CRAL, EHESS-CNRS .

[3] Voir Didier Eribon, Théories de la littérature. Système du genre et verdicts sexuels. Paris, PUF, 2015.

[4] Jérôme Meizoz, Postures littéraires. Mises en scène modernes de l’auteur. Genève, Slatkine, 2007.