Littérature

Ne pas minorer l’antisémitisme de Charles Maurras

Sociologue

L’anthologie des textes de Charles Maurras parue chez Robert Laffont ne saurait faire l’économie d’une mise au point : il ne faudrait, en effet, pas omettre que l’idéologue du « nationalisme intégral » fut aussi un antisémite forcené. Maurras considérait l’antisémitisme comme une conséquence rationnelle et logique du nationalisme, relevant de la défense de la France contre un des « quatre états confédérés. »

La parution d’une anthologie de textes de Charles Maurras chez Laffont, dans la collection « Bouquins », collection que Jean d’Ormesson a qualifiée de « bibliothèque idéale de l’honnête homme », s’accompagne d’une entreprise de réhabilitation du fondateur de la Ligue d’Action française, auteur de référence des nouveaux défenseurs de « l’identité nationale ». Pour rendre cet auteur acceptable, il fallait néanmoins le laver d’une tare qui entachait sa mémoire. On a ainsi récemment entendu expliquer dans « Répliques » (l’émission d’Alain Finkielkraut sur France Culture) que l’antisémitisme n’était pas fondamental dans sa pensée. Ainsi, le théoricien de l’antisémitisme d’État, qui fut un des conseillers du Maréchal Pétain, n’aurait été antisémite que tardivement, comme par égarement.

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Ces affirmations occultent les travaux qui ont montré au contraire que son antisémitisme et sa xénophobie étaient inhérents à sa pensée, qu’ils en étaient même constitutifs, tels que le livre de Colette Capitan Peter, Charles Maurras et l’idéologie d’Action française (Seuil, 1972), ouvrage qui mériterait d’être réédité aujourd’hui, celui de Victor Nguyen (Aux origines de l’Action française, Fayard, 1991) ou encore celui de David Caroll, qui, dans French Literary Fascism (Princeton UP, 1995), émet l’hypothèse que les auteurs attirés par le fascisme ou des doctrines proches comme l’Action française ont été conduits à adhérer à des politiques d’exclusion par leurs conceptions mêmes de la culture. Nos analyses dans La Guerre des écrivains, 1940-1953 (Fayard 1999) rejoignaient ces thèses, et nous y revenons dans Les Ecrivains et la politique en France, de l’Affaire Dreyfus à la guerre d’Algérie (Seuil, septembre 2018), qui étudie les différentes formes d’intrication entre littérature et idéologie.

En effet, le socle de la doctrine maurassienne repose sur la défense et l’illustration du classicisme et de la condamnation sans appel du romantisme. Ce qui semble relever d’une pure querel


Gisèle Sapiro

Sociologue, Directrice de recherche au CNRS et directrice d'études à l'EHESS

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