Littérature

Le cœur converti ou la trop belle histoire de Stefan Hertmans

Historienne

Avec Le cœur converti, Stefan Hertmans cultive avec talent l’art du croisement des récits, délaissant la linéarité au profit d’une architecture sophistiquée mais la pertinence historique lui fait parfois défaut. Construit comme une plongée littéraire et historique dans le XIe siècle, le roman multiplie les lieux communs et les anachronismes. Une belle histoire, à défaut d’être « vraie ».

Le roman de Stefan Hertmans intitulé Le Cœur converti, écrit en 2015 et traduit du néerlandais, s’ouvre par un propos liminaire explicite : « Ce livre s’inspire d’une histoire vraie. Il est le fruit à la fois de recherches approfondies et d’une empathie créative ».

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Une histoire vraie… ou plutôt deux : celle de Vigdis, qui devient Sarah et que son mari appelle tendrement Hamoutal, dont les bribes initiales proviennent de deux manuscrits hébraïques du XIe siècle retrouvés dans un fonds d’archives exceptionnel ; celle de la quête vaine et illusoire de l’auteur – ce dernier n’est pas dupe – de traces tangibles d’une femme disparue il y a près de mille ans. Voir, sentir et toucher ce qu’elle a vu, senti et touché nourrissent l’itinérance d’un homme du XXIe siècle s’attelant à reconstituer le périple tragique d’une fugitive de la fin du XIe siècle.

Issue de la noblesse normande, descendante des Vikings dont elle a naturellement hérité la blondeur et la ténacité légendaires, Vigdis Adelaïs est la fille de Gudbrandr. Elle est bien sûr destinée à pérenniser sa dynastie mais un amour fou pour un jeune étudiant de la yeshiva ou école talmudique de Rouen, dont elle croise le regard au détour d’une promenade en ville, scelle un autre destin, terrible, qui la mène à l’exil puis à la folie. Elle abandonne famille et foi chrétienne pour s’unir à David, fils d’un grand rabbin de Narbonne connu dans des sources latines comme Rex judeorum ou « Roi des juifs », l’épouser après s’être convertie au judaïsme et lui donner des enfants.

La fuite des jeunes gens, dont le cœur est à jamais promis l’un à l’autre et qui sont poursuivis par les sbires de Gudbrandr, les conduit à travers champs et forêts jusqu’à Narbonne, où Vigdis se trempe dans le mikvé ou bain rituel, selon un rite de purification et de conversion, et devient « prosélyte ». Mais leurs poursuivants n’ont pas abandonné leur mission, mus par la promesse d’une généreuse récompense, et la jeune famille part se réfugier


Juliette Sibon

Historienne, Maître de conférences à l'Institut universitaire d’Albi

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