Quand Pierre Bayard libère un « serial killer »
Selon une méthode éprouvée, Pierre Bayard corrige tous les dix ans un classique de la littérature policière. Il y eut ainsi Qui a tué Roger Ackroyd ? en 1998, puis L’Affaire du chien des Baskerville en 2008, et voici, en 2018, La Vérité sur « Dix petits nègres ». À chaque fois, bien entendu, le coupable n’est pas celui qu’identifie et qu’accuse le roman. Et cela donne au total un beau tableau de chasse avec successivement en tant qu’auteurs « corrigés » Agatha Christie, Conan Doyle, Agatha encore. Cette fois, c’est donc Dix petits nègres qui est passé à la moulinette de la contre-enquête, c’est-à-dire le roman le plus lu et le plus apprécié de tous ceux conçus par la « Reine du crime », et sans l’intervention de miss Marple ou d’Hercule Poirot.
Or, on a beau savoir que, avec Christie, le « detective novel » est un jeu, la romancière, avec Dix petits nègres, pousse fort loin l’aspect ludique et tout artificiel de son montage. Que l’on en juge d’après le scénario : dix personnes réunies sur une île inhabitée (celle du Nègre !), dix personnes qui ne se connaissent pas mais dont chacune a été impliquée dans une affaire de mort violente, dix personnes qui vont être assassinées l’une après l’autre en l’espace de deux jours, dix personnes dont chacune a droit au couplet d’une comptine tel qu’il est affiché dans sa chambre et qu’il renvoie à la manière dont elle sera mise à mort. Et, pour finir, viendra cet épilogue : est recueillie une bouteille jetée à la mer qui contient les aveux de l’assassin des neuf autres compagnons de séjour et dont le cadavre sera retrouvé sur l’île après un suicide rocambolesque.
Dans cette contre enquête, c’est toute une conception de la littérature qui est mise à l’épreuve avec un rare culot, jusqu’à entraîner le lecteur dans un trouble vertigineux quant au dispositif d’énonciation.
Sans doute l’homme à la bouteille n’est-il pas le « bon coupable » selon Bayard. Car c’est là que ce dernier lance une contre-enquête – qui sera triomp