Rejouer le pire – à propos de « Peu m’importe si l’histoire nous considère comme des barbares »
Qui n’a jamais ressenti une certaine gêne face à une reconstitution historique malhabile, façon « théâtre vivant », qui grime et costume des habitants des lieux ou des acteurs et figurants pour leur faire rejouer des scènes du passé ? Qui n’a pas ressenti un malaise face à des films représentant en toute légèreté des moments ou des épisodes tragiques ou criminels de l’Histoire ? Le problème du kitsch et de l’obscénité de la représentation a été depuis longtemps posé par les représentants les plus aigus de la critique cinématographique et du documentaire historique. Il l’a été en particulier, ou paradigmatiquement, à propos de la Shoah – du fameux article de Rivette (« De l’abjection », 1961) soulignant, à propos du recadrage esthétisant sur une femme morte sur les barbelés d’un camp de concentration, qu’un travelling était une affaire de morale, jusqu’à l’œuvre de Claude Lanzmann, écartant toute reconstitution et toute archive pour ne donner à entendre que l’inouï du témoignage et pour ne donner à voir que l’absence, l’indifférence des paysages et le calme trompeur de la vie qui continue là où « cela a eu lieu ».
Le dernier film de Radu Jude s’inscrit dans le sillage de cette interrogation, et de ce dilemme : pour empêcher l’oubli, le refoulement, oubli des victimes et refoulement nationaliste des crimes, il faut représenter ou « rejouer » les événements les plus terribles (ici : le massacre d’Odéssa par l’armée roumaine) ; mais rejouer (le terme anglais de re-enactment est plusieurs fois prononcé lors de la discussion entre la metteuse en scène – Mariana Marin, jouée par Ioana Iacob – et ses contradicteurs) un passé aussi précis qu’atroce, c’est risquer de tomber dans le grotesque de la représentation grossière, pompière, et, pire, ce peut être fournir un « bon spectacle » mal compris et mal applaudi. Il me semble que le pari de Peu m’importe si l’histoire nous considère comme des barbares est d’intégrer le grotesque et le risque de l’échec radical dans