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Saint Ambroise remix – sur La trace et l’aura de Patrick Boucheron

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Loin d’être cette amulette figée qui danse sous les rétroviseurs ou prend la poussière dans des salons de nos grands-parents, le saint est une figure ductile, un récit sans cesse échantillonné, reprisé, ravaudé, que ce soit pour étayer des discours, consolider un pouvoir ou polariser les foules. Pour dire les vies posthumes d’Ambroise, l’historien Patrick Boucheron n’avait d’autre solution que se faire DJ.

Officiellement, Patrick Boucheron est historien, professeur au Collège de France, intellectuel engagé, etc. Bref, un personnage public. En réalité, comme l’illustre son dernier livre, il est DJ. Lire ses  « Vies posthumes d’Ambroise de Milan » procure en effet le même plaisir que de pénétrer dans un local encombré de bac de disques et d’écouter le maître des lieux enchaîner à toute vitesse sur sa platine de vieux 33 tours de soul, puis les maxi de rap qui les samplent et, enfin, les beats d’électro créé à partir de ce double amalgame. La sainteté est un grand mix qui enchaîne les auréoles comme autant de galette vinyle.

Car loin d’être ces amulettes figées qui dansent sous les rétroviseurs ou bien prennent la poussière dans des salons de nos grands-parents, le saint est une figure ductile, un récit sans cesse échantillonné, reprisé, ravaudé, que ce soit pour étayer des discours, consolider un pouvoir ou polariser les foules. Star en puissance, chaque saint se vit comme l’héritier, presque la réincarnation, d’une figure établie. Ainsi chez les Thérèse, Lisieux copie Avila, tandis que les Jacques, qui sont tout de même vingt-six en tout, les bienheureux se décalquent à la chaîne. Tout ceci sans plagiat : chez les saints, l’emprunt, la reproduction, est complètement assumée, explicitement mis en avant. A Milan, après Ambroise (340-397), évêque et docteur de l’Église, viendront Aribert d’Intimiano et Charles Borromée qui, comme l’écrit Patrick Boucheron, ne se contenteront pas d’imiter le saint Patron de la ville : chacun d’entre eux sera Ambroise, et convoquera les gestes et les dires du saint évêque pour faire face aux défis de leurs temps. La sainteté est une scène, et un répertoire.

Mais c’est aussi un registre : durant tout le Moyen Âge, montre Boucheron, on ne cesse d’improviser Ambroise comme si le personnage était un clavier d’orgue compliqué de pédale et d’appel pour permettre de multiplier les jeux. Sous-titré  « la trace et l’aura », son livre piste les harm


Philippe Vasset

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