Littérature

Dans le cerveau d’Abebe Bikila – à propos de Vaincre à Rome de Sylvain Coher

Journaliste

Un destin peut se jouer en deux heures, quinze minutes et seize secondes. Le 10 septembre 1960, un soldat de l’armée éthiopienne devient une légende : Abebe Bikila est le premier champion olympique africain de l’Histoire. Le théâtre de son exploit : Rome, d’où, vingt-quatre ans plus tôt, l’Italie fasciste a envoyé ses troupes conquérir l’Abyssinie. En cette année où court la décolonisation, Bikila pousse même le raffinement jusqu’à gagner pieds nus. Dans un style qui affole le pouls, Sylvain Coher réalise, lui aussi, une véritable prouesse : nous faire revivre ce marathon mythique dans la peau de ce Philippidès moderne. À lire à grandes foulées.

C’est comme ça. « De là où je viens (…) on court pour vivre tout simplement. » Cette phrase laconique revient comme un refrain dans le roman de Sylvain Coher. Résonne dans nos têtes la chanson éponyme de l’album The No Comprendo des Rita Mitsouko. « Tchigri yellem », se répète également le héros. Il n’y a pas de problème. Abebe Bikila, jeune homme de 28 ans, est venu à Rome pour vaincre et rien d’autre. Il ne doute pas de son triomphe. « Lorsque la nuit sera tombée sur les ruines de la ville immortelle je pourrai enfin dire à la Terre entière : Je m’appelle Abebe Bikila et je cours simplement comme d’autres marchent, c’est comme ça. »

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Ce n’est pas le moindre des mérites de l’auteur que de donner la parole durant cent cinquante pages à un homme de peu de mots qui a « toujours préféré courir pour ne pas trop voir et courir pour ne pas trop dire ». Mais Coher a du style. Au départ, la lecture peut sembler aussi impénétrable qu’une musique sérielle. Pourtant, les « départs sont toujours victorieux, seules les arrivées sont méprisables. » Et seul ici importe le rythme. Il faut lire Vaincre à Rome en deux heures, quinze minutes et seize secondes. Pas une de plus. Pas une de moins. Ce qui n’a rien d’une promenade de santé.

Nous sommes le samedi 10 septembre 1960 aux abords du Capitole. Les Jeux de la XVIIe olympiade de l’ère moderne touchent à leur fin. Ceux-ci ont déjà marqué un tournant dans l’Histoire de l’olympisme. Par leur organisation : Rome, qui avait dû renoncer aux Jeux de 1908 suite à la terrible éruption du Vésuve deux ans plus tôt, a investi 60 milliards de lires pour la construction des sites olympiques et d’un nouvel aéroport ; par une couverture télévisée sans précédent : pour la première fois, les Jeux ont été retransmis en intégralité, en direct et en mondovision ; par des médailles que l’on passe désormais autour du cou des vainqueurs ; et par l’avènement de champions d’exception : le boxeur Cassius Clay – pas encore Mohamed Ali – couronné dan


Nicolas Guillon

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