Solitude de l’historien consacré – sur les Œuvres de Georges Duby en Pléiade
Publiant en 1962 son grand manuel L’économie rurale et la vie des campagnes dans l’Occident médiéval, Georges Duby (1919-1996) plaçait à l’orée de son livre un éloge paradoxal de la durée en histoire : « Il eût fallu, aux pages qui suivent, des marges immenses, offertes aux corrections, aux additifs. Tout comme les inventaires des seigneuries médiévales, l’une des bases les moins fragiles de l’histoire économique des campagnes, et qu’à peine rédigés l’on couvrait de ratures, ce livre, s’il atteint son but, devrait être en peu de temps détruit par ceux même qui s’en serviront ». Un volume de la Pléiade n’a pas de ces marges immenses et l’on s’en voudrait de le couvrir de rature : on n’égratigne pas le papier bible, offert à la contemplation davantage qu’à la réflexion critique.

Est-ce à dire que la parution dans cette prestigieuse collection des Œuvres de Georges Duby – entendons ici, au sens propre : de ses œuvres choisies – le retranche de la bibliothèque des historiens ? Une telle apothéose semble de prime abord consacrer la solitude de l’historien ; elle la place en réalité en une compagnie d’auteurs dont il s’agit de préciser les contours. Si L’Histoire continue, pour reprendre le titre du livre où Georges Duby décrivait en 1991 l’exercice de son métier, elle continue parfois contre son auteur, ou en tout cas dans ses marges « offertes aux corrections ».
Ainsi va la postérité véritable des œuvres de savoir, qui se survivent surtout en dehors d’elles-mêmes, par ce qu’elles suscitent de prolongements, d’inspirations et de critiques. C’est particulièrement vrai en histoire, où plus une pensée est puissante et suggestive, plus elle offre aux chercheurs l’envie, et surtout la possibilité, de la contrer ou de la contester. Tel est le cas, aujourd’hui, de Georges Duby. Sa réédition en Pléiade est donc l’occasion de s’interroger sur ce qui reste d’une œuvre d’historien, au-delà de cette « destruction par ceux même qui s’en serviront ».
Occasion heureuse, cela va sans d