L’envolée de la contre-fiction – à propos de La Catacombe de Molussie de Günther Anders
Selon Benjamin, les soldats de la Grande Guerre revenaient du front en silence et sans récit car dépouillés de leur expérience par le choc subi. Pourrons-nous sortir autrement de la soi-disant « guerre virale » : moins résignés, avec plus de détermination, d’attention et de complicité grâce à un détour dans la Molussie fictionnelle de Günther Anders ?
Dépayser le présent
Il y a deux personnages enfermés quelque part, confinés dans une poignée de mètres carrés. Ils n’ont aucune occupation pour remplir les jours qui se succèdent, indistincts – juste celle d’analyser, défaire et refaire la situation politique extérieure, responsable de leur enfermement. Ils attendent une sortie dont aucune date n’a été donnée, ils la préparent par leurs infatigables discussions. Si la description de la situation s’arrêtait à ces détails, on pourrait presque croire qu’elle se réfère à ce qui nous est arrivé. La part la plus chanceuse de nos sociétés affectées par l’épidémie virale – celle des télétravailleurs intellectuels, celle qui possède du temps et un accès aux moyens de communication – passe cette période de confinement à raconter, disséquer et discuter les événements actuels et leurs possibles évolutions socio-politiques.
Chacune des Pénélope que nous sommes fait et défait le récit de la crise épidémiologique et de son avenir dans l’attente que l’enfermement soit levé lorsque l’Ulysse de la normalité toquera à notre porte. « En guerre » nous le sommes dans le champ de l’interprétation et de la narration de ce qui nous arrive. Bien qu’il n’y ait aucune relation directe entre notre présent et la scène décrite (car celle-ci a été composée il y a presque un siècle, par la plume d’un écrivain), en terminant de lire ce livre pendant les premiers jours de la quarantaine, le court-circuit avec les circonstances actuelles nous est paru évident.
La tentation d’une actualisation a fait ainsi surface : une interprétation « actualisante », afin de tirer de ce texte passé « une m