Rediffusion

Dans le corps du texte – sur les Journaux de Kafka, traduits par Robert Kahn

Philosophe et auteure

Malgré l’injonction de Kafka lui-même, Max Brod ne détruira pas ses écrits intimes, et les rassemblera même pour publier les Journaux de l’écrivain. Grâce à la nouvelle traduction de Robert Kahn – le grand traducteur disparu quatre mois après la publication en janvier 2020 aux Éditions Nous – nous entrons dans les coulisses d’une écriture douloureuse, dans sa réalisation organique et dans son rapport presque honteux au corps. Rediffusion du 26 mars 2020.

« Aujourd’hui ce soir, je me suis lavé trois fois les mains dans la salle de bains, par ennui ».
Franz Kafka

 

Jusqu’ici, ces pages étaient rassemblées en français sous un titre au singulier : on pouvait lire « le » Journal de Kafka dans une traduction de Marthe Robert, qui datait des années 1950. C’est la première raison, évidente, de la nécessité d’une nouvelle traduction : chaque grand livre, rappelle Robert Kahn dans sa préface, devrait être retraduit à chaque nouvelle génération. Dans les années 1950, les enjeux de la traduction n’étaient pas les mêmes, la langue n’était pas la même, le prisme par lequel nous lisions Kafka n’avait pas grand-chose à voir.

Et puis surtout, dans les années 1950, nous n’avions du « Journal » de Kafka qu’un seul manuscrit : celui établi par l’ami de toujours, Max Brod – qui fut le premier à le publier en allemand. L’histoire de ce texte est intimement liée à l’histoire de cette amitié, à laquelle nous devons l’ensemble de l’œuvre de Kafka.

À la mort de Kafka, Brod découvre sur son bureau deux billets qui lui sont adressés, et ne sont pas datés : l’un écrit au crayon de papier lui demande de « détruire par le feu » tous ses textes à l’exception de certains récits, dont il consigne une liste précise. L’autre est écrit à l’encre noire (certains interprètes y verront un signe de plus grande certitude) et lui adresse la même demande de destruction, là encore par le feu, de tous les textes privés : lettres, journaux, cahiers.

Mais qu’il s’agisse des fictions ou du reste, Max Brod prendra bien vite sa décision : à la trahison de l’ami il opposera la fidélité du lecteur – fidélité à une œuvre dont il ne pouvait pas nous priver. Déjà en possession du Procès et du Château, Max Brod réunit tous les textes de Kafka disséminés dans son entourage. C’est Milena Jesenska, l’une des femmes follement aimées, en qui Kafka avait une confiance particulière, qui remet à Max Brod les quinze cahiers du Journal.

Nous entrons dans les coulisses d’une écrit


[1] Une grande partie de ce travail intitulé « Kafka project », restituant les textes allemands à partir des manuscrits, est en libre accès sur le site : www.kafka.org (qui propose aussi des traductions libres de droits dans plusieurs langues).

Léa Veinstein

Philosophe et auteure

Notes

[1] Une grande partie de ce travail intitulé « Kafka project », restituant les textes allemands à partir des manuscrits, est en libre accès sur le site : www.kafka.org (qui propose aussi des traductions libres de droits dans plusieurs langues).