Littérature

Quand l’Histoire s’accélère – sur M. L’enfant du siècle d’Antonio Scurati

Historienne

Entrelaçant réel et fiction, M d’Antonio Scurati retrace pas à pas et coup après coup la conquête du pouvoir par Mussolini et l’avènement du fascisme en Italie. Si les événements en question peuvent paraître lointains à présent, certains aspects ne sont pas sans inspirer un sentiment de familiarité alors que l’extrême-droite connaît un nouvel essor, non seulement en Italie, mais aussi dans d’autres pays d’Europe.

M est un livre qui donne à réfléchir, tant sur la littérature que sur l’Histoire, en l’occurrence celle du fascisme. En quelque 842 pages, Antonio Scurati nous fait parcourir, pas à pas et coup après coup, les péripéties de la conquête du pouvoir par Mussolini, de la fondation du mouvement des Faisceaux italiens de combat, à Milan, le 23 mars 1919, jusqu’au discours prononcé par le Duce, le 3 janvier 1925. Du premier événement, retracé à travers un monologue intérieur de Mussolini – « Ils attendent que je prenne la parole mais je n’ai rien à dire » – l’auteur propose une reconstitution qui, pour être imaginée, n’a rien d’imaginaire. Il ne tait rien de l’improvisation et de la contingence du premier rassemblement des Faisceaux.

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Pour cette scène inaugurale du roman – et de l’histoire du fascisme – Scurati insiste, à juste titre, sur l’approche plus instinctive que théorique du fondateur des Faisceaux : « dans cette salle à moitié vide, je flaire le siècle, les narines dilatées, puis tends le bras, je tâte le pouls de la foule et je suis certain que mon public est là ». On touche ainsi du doigt la fragilité de l’entreprise et le caractère hasardeux d’un auditoire très disparate : « À peine cent personnes, des hommes sans importance […] des déplacés, des criminels, de[s] géniaux excentriques, des oisifs, des fêtards petit-bourgeois, des schizophrènes, des laissés-pour-compte, des disparus, des irréguliers, des noctambules, d’anciens détenus, des repris de justice, des anarchistes, des syndicalistes incendiaires, des gazetiers désespérés, une bohème politique de vétérans, officiers et sous-officiers, des experts dans le maniement des armes à feu et des armes blanches, des hommes que la normalité du retour a découvert violents, des fanatiques incapables d’y voir clair dans leurs propres idées ».

Pourtant, les présents forment bien une communauté, moins hétéroclite qu’il n’y paraît, soudée, et bientôt galvanisée par les brûlures de la Grande Guerre : « Nous somm


Marie-Anne Matard-Bonucci

Historienne, Professeure d'Histoire à l'université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis

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