Littérature

Jamais plus, encore et toujours – sur Nevermore de Cécile Wajsbrot

Artiste et auteure

Une femme est en résidence à Dresde pour y traduire To the Lighthouse de Virginia Woolf. Un déracinement qui se veut « une interruption du cours de la vie », pourtant Nevermore est conçu comme un éternel recommencement. Ce ressac, qui charrie le fantôme d’une amie disparue et une traduction qui se fait et se défait, entraine dans une lecture que l’on a envie de ne jamais laisser se terminer.

Difficile de demander à un texte de rendre l’intensité procurée par la lecture de Nevermore de Cécile Wajsbrot, paru en février dernier aux éditions Le Bruit du temps. Certains livres, plus que d’autres, apparaissent dans votre vie au moment où vous les attendiez puis deviennent des compagnons silencieux de pensée, de route. Ils cheminent d’autant plus en vous et à vos côtés qu’ils convoquent dans leur sillage d’autres lectures, d’autres expériences qui vous appartiennent.

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C’est la couverture de Destruction, paru en 2019 chez le même éditeur, qui avait attiré mon attention dans la vitrine de la librairie Vendredi rue des Martyrs à Paris : un quartier de lune photographié sur fond de ciel entre chien et loup, comme ayant échappé à l’ombre métallique d’une tour – tour Eiffel ou de contrôle, de transmission. Image métaphorique d’un récit aussi mystérieux qu’haletant, dont la portée faisait déjà tellement écho à l’époque que nous venions de traverser et laissait à tel point présager celle qui nous attendait, qu’il est aujourd’hui essentiel de lire ou relire Destruction.

Plus jamais, Oh grand jamais, Jamais plus et pourtant encore et toujours sont peut-être de possibles manières d’aborder Nevermore. Ou transformer « Nevermore » en « Moreover » – over comme l’on met un terme à, en basculant d’une falaise. More pour toujours car le livre m’a entraînée dans une lecture que j’aurais eu envie de ne jamais laisser se terminer, flot passionnant d’une pensée livrée à elle-même comme à ses fantômes. Nevermore est une narration à la fois bouleversante et tenue à distance, plongée dans les méandres d’un esprit auquel seule l’écriture semble offrir un semblant de répit. Il n’est pourtant ici question que d’intranquillité.

Une femme, narratrice dont l’autrice ne nous dit pas si elle est son incarnation et cela n’a pas d’importance, est en résidence à Dresde, ville qu’elle a choisie pour aller y traduire To the Lighthouse de Virginia Woolf.

Traduire Woolf dans un endroit où


[1] Dans Traduire ou perdre pied, Corinna Gepner décrit magnifiquement l’effet du travail de traduction sur la traductrice qu’elle est. Traduire ou perdre pied, éditions La Contre Allée, 2019

[2] Paul Ricœur, Sur la traduction, éditions Bayard, 2004

[3] La semaine où j’ai lu Nevermore et écrit ce texte, l’émission Par les temps qui courent a consacré cinq émissions à des traductrices. Marie Richeux a lu cet extrait en introduction de l’épisode 4 sur l’écrivaine et traductrice du japonais Corinne Atlan le 11 mars 2021, dix ans exactement après la catastrophe de Fukushima.

 

Marcelline Delbecq

Artiste et auteure

Rayonnages

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Notes

[1] Dans Traduire ou perdre pied, Corinna Gepner décrit magnifiquement l’effet du travail de traduction sur la traductrice qu’elle est. Traduire ou perdre pied, éditions La Contre Allée, 2019

[2] Paul Ricœur, Sur la traduction, éditions Bayard, 2004

[3] La semaine où j’ai lu Nevermore et écrit ce texte, l’émission Par les temps qui courent a consacré cinq émissions à des traductrices. Marie Richeux a lu cet extrait en introduction de l’épisode 4 sur l’écrivaine et traductrice du japonais Corinne Atlan le 11 mars 2021, dix ans exactement après la catastrophe de Fukushima.