Musique

Ultra de Booba : autopsie d’un retour de la politique

Enseignant

Très attendu, l’album Ultra de Booba, que l’artiste présente comme son dernier, tient ses promesses. Les controverses nombreuses et diversifiées qui entourent le Duc depuis plusieurs années en ont paradoxalement fait un « sujet politique » relativement consensuel. Sa carrière musicale permet de revisiter sur le temps long la position ambiguë du rap au sein de l’espace social et politique français, et plus profondément la manière dont la culture populaire s’approprie aujourd’hui un ensemble de questions politiques.

« Il faut toujours faire l’exégèse de la parole…
– Heu… Je vous laisse l’honneur ! »

Le ton presque désemparé de l’échange entre Florence Paracuellos et Nicolas Demorand dans la matinale de France Inter autour du succès de l’album Ultra (numéro 1 mondial la semaine de sa sortie sur la plateforme Spotify), le 9 mars dernier, montre qu’on ne sait toujours pas dans quel registre placer la sortie du dernier album de Booba : l’artiste, qui signe avec Ultra son 10ème album solo – 11ème si on compte l’album Mauvais Œil sorti en 2000 au sein du groupe Lunatic – habite le paysage musical français depuis longtemps maintenant. Ses textes, ses mots et expressions, qui font aujourd’hui les choux gras des spécialistes de linguistique, prennent en effet parfois des allures de parchemins dont l’interprétation demande un véritable travail exégétique. Mais aussi, surtout, un travail politique.

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Au-delà des chiffres d’écoute d’un album qui a mis tout le monde d’accord (ou presque), la sortie d’Ultra a été au cœur d’innombrables débats et discussions qui traversent générations et classes sociales : la campagne de promotion de l’album a d’ailleurs investi autant les réseaux sociaux (on dit souvent que Booba a presque « créé ses propres médias » en multipliant les millions d’abonnés sur Twitter, Instagram et Facebook) que les médias plus légitimes (France 5, France 24) et les formats générationnels (on l’a vu avec le jeune youtubeur Julien Beats sur Konbini) : cette surface d’expression révèle un artiste faisant aujourd’hui pleinement partie de la culture populaire française, autorisant de fait une forme de revendication politique que « Le Duc » ne refuse pas.

Dans une séquence mémorable, on l’a vu assumer une position de refus de discussion avec un représentant du Rassemblement National sur le plateau de Touche pas à mon poste ! (C8) au début de ce mois de mars : « Moi je t’aime pas. Tu viens du Front National, comment tu veux que je t’aime. (…) Tolérer le racisme ? Je discute


[1] Booba, GP in Ultra, 2021.

[2] L’histoire politique récente et notamment la montée en légitimité de l’enjeu des violences policières dans le répertoire de mobilisation de la gauche démontre la modernité des prises de position issues du rap.

[3] Voir à ce titre l’ouvrage important de Karim Hammou, Une histoire du rap en France, Paris, La Découverte, 2014. Il y développe notamment le « mandat de responsabilité minoritaire » des rappeurs et les conséquences contradictoires de celui-ci.

[4] On pense évidemment ici au travail d’Elsa Dorlin : Se défendre. Une philosophie de la violence, Paris, La Découverte, 2017. Particulièrement les développements quant à la distinction entre violence et non-violence.

[5] Ideal J, « Hardcore » in Le Combat continue, 1998.

[6] Ce qu’Etienne Balibar a appelé poétiquement « le trésor perdu d’une génération », In Balibar, Etienne, Histoire interminable. Ecrits I, Paris, La Découverte, 2020.

[7] Booba, « 31 », in Ultra, 2021.

Ulysse Rabaté

Enseignant, Président de l'association Quidam pour l'enseignement populaire, Ex-Conseiller municipal de Corbeil-Essonnes

Notes

[1] Booba, GP in Ultra, 2021.

[2] L’histoire politique récente et notamment la montée en légitimité de l’enjeu des violences policières dans le répertoire de mobilisation de la gauche démontre la modernité des prises de position issues du rap.

[3] Voir à ce titre l’ouvrage important de Karim Hammou, Une histoire du rap en France, Paris, La Découverte, 2014. Il y développe notamment le « mandat de responsabilité minoritaire » des rappeurs et les conséquences contradictoires de celui-ci.

[4] On pense évidemment ici au travail d’Elsa Dorlin : Se défendre. Une philosophie de la violence, Paris, La Découverte, 2017. Particulièrement les développements quant à la distinction entre violence et non-violence.

[5] Ideal J, « Hardcore » in Le Combat continue, 1998.

[6] Ce qu’Etienne Balibar a appelé poétiquement « le trésor perdu d’une génération », In Balibar, Etienne, Histoire interminable. Ecrits I, Paris, La Découverte, 2020.

[7] Booba, « 31 », in Ultra, 2021.