Art contemporain

Le futur est privé – sur l’exposition I will survive de Hito Steyerl

Critique d'art

En consacrant une exposition à l’artiste allemande Hito Steyerl, le Centre Georges Pompidou réussit le pari d’ancrer ses espaces artistiques dans l’ère du « capitalisme de surveillance » en en proposant une critique aiguisée et une satire. À une époque où le panoptique se renouvelle en se mettant à l’heure de la gamification, Hito Steyerl met en défaut le contemporain et le temps dans lequel nous vivons : un temps écrasé, fragmenté, dont la liquidité a signé la liquidation.

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Comment vivre dans un monde en crises perpétuelles qui anticipe et modélise ses lendemains ? Comment s’extraire de la colonisation du passé sur le futur ; de ces données collectées, orientées et manipulées, dont la vocation est de prédire et d’administrer nos comportements à des fins politiques ou financières ? Si The Future is Private, ainsi que l’annonçait Mark Zuckerberg [1], il faudra plutôt entendre l’expression dans le double sens de sa privatisation économique et de sa confiscation par les industries de la surveillance.

L’empire de la simulation recouvre désormais l’empire du réel à l’échelle 1. Une cloche transparente s’est apposée sur nos vies comme la carte borgésienne entendait coïncider avec la réalité, point par point, pixel par pixel. La gouvernementalité algorithmique est en marche, drainant avec elle son idéologie néolibérale, et ses logiques autoritaires et discriminantes. Pour faire front, l’artiste Hito Steyerl imagine une nouvelle application autonome, SocialSim, qui prend la forme d’une chorégraphie sociale entre insurgés, forces de l’ordre et civils.

Fruit d’un partenariat entre le K21 Düsseldorf et le Centre Pompidou, la rétrospective de l’artiste berlinoise Hito Steyerl — première femme à figurer en tête de la 2017 Power 100 List établie par le magazine ArtReview — se veut une réflexion sur le devenir d’un « art public ». Quelles visées peuvent encore tenir les Musées, dès lors que ceux-ci se trouvent de plus en plus souvent phagocytés par des intérêts privés ? Quel espace d’expression peuvent revendiquer l’art et la critique face aux risques d’ingérences et d’instrumentalisations ?

Invitée à occuper les plus vastes salles des deux institutions, Steyerl fait de ces couveuses symboliques que sont les Musées le point de départ d’une réflexion sur l’architecture et ses fonctions, la culture et l’art, le privé et le public, le temps et l’espace. À Paris, le long des cimaises recyclées de l’exposition Christo et Jeanne-Claude, l’artiste-


[1] Martin Untersinger, Mark Zuckerberg n’a toujours rien compris à la vie privée, Le Monde, 07 mars 2019.

Marion Zilio

Critique d'art, Commissaire d’exposition indépendante

Notes

[1] Martin Untersinger, Mark Zuckerberg n’a toujours rien compris à la vie privée, Le Monde, 07 mars 2019.