Danse

Un corps à l’écoute – sur les Variations Goldberg d’Anne Teresa De Keersmaeker

Philosophe et écrivain

Deux ans après les Concertos Brandebourgeois, Anne Teresa De Keersmaeker revient à Bach. Accompagnée par le jeune pianiste russe Pavel Kolesnikov, elle danse en solo les Variations Goldberg. Sa chorégraphie, d’une rare liberté, fait de l’écoute son fil conducteur. Ou comment faire de Johann Sebastian Bach notre contemporain.

Il s’agirait de déplier une émotion. Celle ressentie devant Anne Teresa De Keersmaeker dansant les Variations Goldberg de Johann Sebastian Bach. C’était au théâtre du Châtelet, le 13 juillet 2021. Le plateau est vide, ou plutôt évidé, fonds de scène et murs à nu. Le pianiste, le jeune Pavel Kolesnikov, est côté jardin, dos au public. Il porte un débardeur blanc et un pantalon de survêtement, il a les pieds nus. À quelques mètres de lui, Anne Teresa De Keersmaeker danse. Elle porte une robe noire transparente qui tangue et ondoie quand elle bouge, elle a les pieds nus. On a l’impression qu’ils répètent, qu’ils tentent des choses, qu’ils improvisent. Il y a dans le jeu de Pavel Kolesnikov une aisance déconcertante, qui ne va pas sans une certaine distance. Il peut d’une variation à l’autre, voire au cours même d’une variation, changer de perspective : un contraste dynamique soudain, un changement de tempo inattendu, un ample usage des pédales qui rend une variation étrangement contemporaine (la sixième), etc.

publicité

Ces libertés ne sont pas gratuites. Elles s’accordent avec celles que prend Anne Teresa De Keersmaeker. On ignore dans quelle mesure l’un(e) a influencé l’autre, si l’interprétation et la chorégraphie se sont construites ensemble. Un second pianiste, Alain Franco, a accompagné la danseuse-chorégraphe au moment de la création et (parcimonieusement) pendant la tournée. Son interprétation de l’œuvre est, semble-t-il, tout autre. Nous ne pouvons cependant nous empêcher de penser la liberté du premier comme indissociable de celle de la chorégraphie, que la relation entre les deux artistes est aussi importante que celle qui les lie l’un et l’autre à l’œuvre de Bach.

À la fin de l’aria, alors qu’il est en train de jouer les dernières mesures de la mélodie, Pavel Kolesnikov tourne la tête. Il la regarde. Il sait que rien dans sa danse ne marquera le passage, pourtant si contrasté, entre l’aria et la première variation. Elle a commencé à danser avant le début de


[1] Anne Teresa De Keersmaeker, Incarner une abstraction, Actes Sud, Paris, 2020, p. 17-18.

[2] Jean-Luc Nancy, À l’écoute, éditions Galilée, Paris, 2002, p. 30.

Bastien Gallet

Philosophe et écrivain

Notes

[1] Anne Teresa De Keersmaeker, Incarner une abstraction, Actes Sud, Paris, 2020, p. 17-18.

[2] Jean-Luc Nancy, À l’écoute, éditions Galilée, Paris, 2002, p. 30.