Théâtre

Mettre en scène le contrôle – sur Bros de Romeo Castellucci

Philosophe et écrivain

Le nouveau spectacle de Romeo Castellucci – présenté jusqu’au 19 février à MC93 – met en scène et en œuvre le contrôle et ses effets. Un peu plus de trente « acteurs » volontaires obéissent à des instructions qu’on leur dicte à l’oreille. Mais ce n’est là qu’un des fils d’un spectacle qui les multiplie et les enchevêtre. Les effets du contrôle se révèlent très peu contrôlables et ce qui s’offre alors à nos sens est l’image muette, violente et énigmatique d’un monde qui ressemble beaucoup au nôtre.

Bros est un spectacle en tous les sens du mot. Il l’est d’abord parce qu’il fabrique des images : qu’il offre au regard, à l’ouïe, d’une certaine manière au tact, mais aussi à l’esprit qui cherche dans ce qu’il contemple un sens qui souvent excède sa compréhension. Il l’est ensuite parce qu’il émeut, suscite la curiosité, divertit, choque, surprend. Certes, Romeo Castellucci ne nous divertit pas au sens que Pascal donnait à ce mot, en nous faisant oublier un moment nos problèmes et ceux du monde, il divertit une action, une image, un son par un autre, et souvent en même temps à plusieurs endroits du plateau. Une expérience plurisensorielle, vibratoire dirait Scott Gibbons[1] (compositeur des sons de la plupart de ses spectacles), qui donne à penser par le trouble dans lequel elle nous plonge, par l’arbitraire violence ou au contraire l’excessive religiosité des actions qui s’y déploient.

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On frappe gratuitement un corps à terre puis on se prosterne devant une idole de bois ou l’on s’asperge de faux sang comme si ces actions s’appelaient l’une l’autre. Le plateau est pour Castellucci le lieu où les incommensurables se rencontrent, où ils font image audiovisuelle, tableau haptique. Il est un spectacle, enfin, parce qu’il se dénonce lui-même comme tel, en un sens plus radical que celui de la distanciation brechtienne. Tout s’y disloque à peine construit. Le prophète y devient mollusque, le policier épileptique ou terroriste que l’on torture, les icônes révérées se maculent, le défilé se transforme en foire, etc.

Bros met en scène la formation et l’écroulement, le sérieux et le grotesque, l’icône et l’idole, le corps débile du vieillard incontinent et l’innocence ambiguë de l’enfant. Mettre en scène veut dire faire tenir ensemble tout cela sur un même plateau, faire spectacle en tous ses sens. Romeo Castellucci dirait que cela consiste à « présenter l’irreprésentable[2] », à rendre sensible ce qui excède la représentation théâtrale, autrement dit le drame : la


[1] « Dans le travail de la Sociètas Rafaello Sanzio, il y a un authentique effort de fondre tous les stimuli, tous les éléments en un seul et même effet vibratoire. », Jean-Louis Perrier, Ces années Castellucci, Les Solitaires Intempestifs, 2008, p. 124.

[2] « Mais, qu’y a-t-il de plus nécessaire que de mettre en scène l’irreprésentable ? Y a-t-il autre chose pour laquelle il vaille la peine de se battre et de travailler ? » Ibid., p. 141.

[3] En voici quelques-unes : « Je suis prêt à devenir policier dans ce spectacle. », « Je suis prêt à croire que je suis un vrai policier. », « Je suis disposé à exécuter tous les ordres pour être un vrai policier. », « J’exécuterai les ordres au mieux de mes possibilités et capacités. », « J’exécuterai les ordres même s’ils me semblent contradictoires. », « J’exécuterai les ordres comme une statue classique, même si je ne comprends pas cette phrase. », « J’exécuterai les ordres contre moi-même, même si je ne comprends pas cette phrase. », « Après le spectacle, je ne révèlerai les ordres à personne », « L’exécution des ordres sera mon oblation, sera mon théâtre. »

Bastien Gallet

Philosophe et écrivain

Notes

[1] « Dans le travail de la Sociètas Rafaello Sanzio, il y a un authentique effort de fondre tous les stimuli, tous les éléments en un seul et même effet vibratoire. », Jean-Louis Perrier, Ces années Castellucci, Les Solitaires Intempestifs, 2008, p. 124.

[2] « Mais, qu’y a-t-il de plus nécessaire que de mettre en scène l’irreprésentable ? Y a-t-il autre chose pour laquelle il vaille la peine de se battre et de travailler ? » Ibid., p. 141.

[3] En voici quelques-unes : « Je suis prêt à devenir policier dans ce spectacle. », « Je suis prêt à croire que je suis un vrai policier. », « Je suis disposé à exécuter tous les ordres pour être un vrai policier. », « J’exécuterai les ordres au mieux de mes possibilités et capacités. », « J’exécuterai les ordres même s’ils me semblent contradictoires. », « J’exécuterai les ordres comme une statue classique, même si je ne comprends pas cette phrase. », « J’exécuterai les ordres contre moi-même, même si je ne comprends pas cette phrase. », « Après le spectacle, je ne révèlerai les ordres à personne », « L’exécution des ordres sera mon oblation, sera mon théâtre. »