Le rêve mathématique – sur Récoltes et Semailles d’Alexandre Grothendieck
« Et si tu me demandes quel est donc ce “propos” que je poursuis à longueur de mille pages, je répondrai : c’est de faire le récit, et par là-même la découverte, de l’aventure intérieure qu’a été et qu’est ma vie. Ce récit-témoignage d’une aventure se poursuit en même temps sur les deux niveaux dont je viens de parler. Il y a l’exploration d’une aventure dans le passé, de ses racines et de son origine jusque dans mon enfance. Et il y a la continuation et le renouvellement de cette “même” aventure, au fil des instants et des jours alors que j’écris Récoltes et Semailles, en réponse spontanée à une interpellation violente me venant du monde extérieur. »
Alexandre Grothendieck, Récoltes et Semailles
Il ne fait pas de doute, pour tous les mathématiciens du monde, que si une humanité relativement civilisée survit dans 500 ans, non seulement on se souviendra d’Alexander Grothendieck (1928-2014) mais on considérera son œuvre comme une révolution de la pensée d’une ampleur au moins comparable à celles léguées par Newton ou Einstein.
Certitude étonnante, vu l’anonymat public dans lequel il est resté jusqu’à sa mort – on sait que tel ne fut pas le cas pour Einstein. Pourtant, l’œuvre de Grothendieck fut reconnue immédiatement par ses pairs, et continue aujourd’hui à enthousiasmer et inspirer des mathématiciens de premier plan. Sur les médailles Fields attribuées depuis 1970, une dizaine des lauréats ont travaillé dans son sillage. On y trouve pêle-mêle deux Allemands, un Russe, un Japonais, un Belge, un Ukrainien, un Britannique, un Français et un Franco-Vietnamien.

Mais peut-être l’anonymat relatif est-il le destin des mathématiciens, depuis plusieurs siècles. Qui connait Évariste Galois, mathématicien de génie et républicain combattant, qui mourut en 1832 à 21 ans dans un duel sordide ?
L’exemple de Galois […] touche en moi une corde sensible. Il me semble me rappeler qu’un sentiment de sympathie fraternelle à son égard s’est réveillé dès la première fois où j’ai