Théâtre

Mettre en scène Tchekhov – sur deux productions récentes de La Mouette

Philosophe et écrivain

Deux mises en scène de la première des quatre grandes pièces de Tchekhov animent ce printemps : celle de Christian Benedetti au Théâtre-studio d’Alfortville et celle de Cyril Teste au Théâtre des Amandiers de Nanterre. À peu près tout les oppose, excepté leur fascination pour La Mouette, la plus manifestement tragique des comédies de Tchekhov. Leurs différences en dit long sur l’art versatile de la mise en scène, dont on ne sait plus si Tchekhov est le sujet ou l’objet, si l’on doit être au plus proche du texte ou au contraire le mettre à distance pour accommoder ce qu’il a encore à nous dire.

Difficile d’imaginer deux mises en scène plus différentes de La Mouette. L’une est fidèle à la lettre du texte, se passe d’amplification et de décors, ne s’encombre que de quelques accessoires, se mesure au rythme vif de la comédie et ne cherche pas le réalisme ; l’autre adapte le texte, recourt à l’amplification et à la vidéo, construit un dispositif scénique complexe, abstrait d’un côté, réaliste de l’autre et réduit la polyphonie tchekhovienne à ses voix principales.

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La première, signée Christian Benedetti, fait partie d’un projet inédit d’intégrale chronologique du théâtre de Tchekhov présentée au Théâtre-studio d’Alfortville (sous le titre 137 évanouissements). Le jour où j’ai assisté à la représentation, elle était précédée d’Ivanov et suivie d’Oncle Vania, rejouant l’ordre d’écriture des pièces. Cette Mouette reprend une mise en scène de 2011, avec une partie des comédiennes et comédiens d’origine (dont Benedetti en Trigorine, Philippe Crubézy en Dorn et Brigitte Barilley en Irina). Le texte n’est plus celui de 2011 mais la traduction, annoncée nouvelle, demeure assez proche de celle de Françoise Morvan et André Markowicz utilisée alors.

La seconde est celle de Cyril Teste, tournée d’une production qui fut créée au Printemps des Comédiens à Montpellier au printemps 2021. La vidéo y joue un rôle central. Les images filmées en direct sont projetées sur des châssis entoilés posés sur un mur qui fait face au public. Mobiles, ces toiles sont déplacées au fil de la pièce. Le spectateur découvrira ainsi que la plus grande cachait une ouverture vers l’arrière-scène à laquelle il n’accédait jusque-là qu’à travers les images. Le dispositif permet à Cyril Teste de multiplier les lieux et les hors-champs, les deux caméras filmant, notamment, ce que le spectateur ne peut pas voir.

Le texte qu’il met en scène est la traduction que Thomas Ostermeier avait commandé à Olivier Cadiot pour sa propre production de La Mouette, qui fut créée en français au Théâtre de Vid


[1] « Au Théâtre d’art, tous ces détails avec les accessoires distraient le spectateur, l’empêchent d’écouter… Ils masquent l’auteur. […] Vous savez, je voudrais qu’on me joue d’une façon simple, primitive… Comme dans l’ancien temps… Une chambre… Sur l’avant-scène, un divan, des chaises… Et puis de bons acteurs qui jouent… C’est tout… », « Extrait des souvenirs d’Evtikhi Karpov citant les propos de Tchekhov », La Cerisaie, trad. d’André Markowicz et Françoise Morvan, Actes Sud, Babel, 1992, p. 182.

[2] « Loulou et K. L. ont vu la Cerisaie en mars ; ils disent tous les deux que Stanislavski, à l’acte IV, joue d’une façon effroyable, qu’il traîne insupportablement. C’est monstrueux ! Un acte qui doit durer 12 minutes au maximum en dure 40 chez vous. Une chose que je peux dire : Stanislavski a tué ma pièce. Enfin, bon… », lettre à sa femme, Yalta, 29 mars 1904, ibid., p. 186.

[3] Deux autres mises en scènes de Tchekhov accomplissant cela sont parvenues jusqu’à moi, que je veux citer ici tant elles furent, chacune à sa manière, des réussites, deux Cerisaie, celle de Peter Brook aux Bouffes du Nord en 1981 dont je n’ai vu que la captation (disponible en DVD) et celle que Lev Dodine tourna au Montfort Théâtre à Paris en 2015 (en russe avec surtitres français).

Bastien Gallet

Philosophe et écrivain

Notes

[1] « Au Théâtre d’art, tous ces détails avec les accessoires distraient le spectateur, l’empêchent d’écouter… Ils masquent l’auteur. […] Vous savez, je voudrais qu’on me joue d’une façon simple, primitive… Comme dans l’ancien temps… Une chambre… Sur l’avant-scène, un divan, des chaises… Et puis de bons acteurs qui jouent… C’est tout… », « Extrait des souvenirs d’Evtikhi Karpov citant les propos de Tchekhov », La Cerisaie, trad. d’André Markowicz et Françoise Morvan, Actes Sud, Babel, 1992, p. 182.

[2] « Loulou et K. L. ont vu la Cerisaie en mars ; ils disent tous les deux que Stanislavski, à l’acte IV, joue d’une façon effroyable, qu’il traîne insupportablement. C’est monstrueux ! Un acte qui doit durer 12 minutes au maximum en dure 40 chez vous. Une chose que je peux dire : Stanislavski a tué ma pièce. Enfin, bon… », lettre à sa femme, Yalta, 29 mars 1904, ibid., p. 186.

[3] Deux autres mises en scènes de Tchekhov accomplissant cela sont parvenues jusqu’à moi, que je veux citer ici tant elles furent, chacune à sa manière, des réussites, deux Cerisaie, celle de Peter Brook aux Bouffes du Nord en 1981 dont je n’ai vu que la captation (disponible en DVD) et celle que Lev Dodine tourna au Montfort Théâtre à Paris en 2015 (en russe avec surtitres français).