Spectacle vivant

Le théâtre clinique de Lars Norén – sur Kliniken mis en scène par Julie Duclos

Philosophe et écrivain

Quinze ans après la création en France de la grande pièce de Lars Norén, Julie Duclos met en scène les patients de Kliniken au théâtre de l’Odéon : quatorze personnages pris dans un flux sans fin de paroles et de mouvements, sans cesse au bord de l’éparpillement. Mort en 2021, le dramaturge suédois s’est souvenu pour cette pièce de ses séjours dans les hôpitaux psychiatriques de Stockholm. Il en a résulté une des œuvres majeures du théâtre contemporain.

Kliniken est une pièce à part. Longue, dense, drôle, violente, tragique, réaliste, polyphonique, poétique, sans commencement ni terme, d’une multiplicité irréductible, elle occupe dans l’histoire du théâtre contemporain, mais aussi dans l’œuvre de Lars Norén, une place singulière. Son titre, qui a été traduit, étrangement, par Crises, est Cliniques, au pluriel, ce qui désigne évidemment l’institution médicale comme ensemble de normes et de pratiques mais aussi, plus simplement, les lieux où les patients sont soignés et hébergés. Et si la pièce de Lars Norén interroge la clinique au premier sens, ce qu’elle met en scène est un espace, une salle de repos, où les patients se retrouvent, passent, fument, discutent, ne font rien, monologuent ou regardent la télévision[1].

publicité

L’hôpital est dans Kliniken un cadre, où se déroule l’action, où les paroles sont dites, un cadre qui permet à Lars Norén de laisser hors de la scène les médecins et les infirmier.ère.s, ainsi que tout ce qui, plus généralement, relève de l’administration hospitalière. Demeurent sur scène les patientes et les patients, plus une personne en visite (la mère de Roger) et deux hommes de ménage, dont un (Tomas) joue à l’animateur et à l’infirmier – lors d’une scène assez violente, il contraint une patiente récalcitrante (Sofia) à prendre un médicament qu’il dit avoir été prescrit par un médecin.

En repoussant l’hôpital hors champ, Lars Norén peut rendre visible et audible celles et ceux qu’il accueille : onze patients aux pathologies variables, la salle en question ne faisant pas partie de l’unité réservée aux cas les plus graves, certaines sont mentionnées, d’autres se devinent, schizophrénie (Markus), anorexie (Sofia), dépression (Maud), sociopathie (Roger), etc.

Onze personnages aux situations les plus diverses, terribles et banales : Martin est séropositif – dans la Suède des années 1990, il arrivait que des malades du SIDA se retrouvent en hôpital psychiatrique (la pièce a été écrite en 1994)


[1] « C’est un hôpital psychiatrique. Vous y allez et vous pouvez rester deux-trois semaines. Et après, ils vous disent de partir. Il y a des parties fermées, où les patients ne peuvent pas sortir, comme le 7e étage dans Kliniken. Les personnages ont d’abord été à cet étage-là, puis ils en sont redescendus. La partie où ils se trouvent est fermée le soir », entretien avec Lars Norén, dossier de presse de la production de Jean-Louis Martinelli au théâtre des Amandiers à Nanterre, 2007.

[2] Kliniken (Crises), traduction de C. Bouchet, J.-L. Martinelli, A. Roig-Mora, L’Arche, 2022 (2003), p. 126

[3] Ibid., p. 118.

Bastien Gallet

Philosophe et écrivain

Notes

[1] « C’est un hôpital psychiatrique. Vous y allez et vous pouvez rester deux-trois semaines. Et après, ils vous disent de partir. Il y a des parties fermées, où les patients ne peuvent pas sortir, comme le 7e étage dans Kliniken. Les personnages ont d’abord été à cet étage-là, puis ils en sont redescendus. La partie où ils se trouvent est fermée le soir », entretien avec Lars Norén, dossier de presse de la production de Jean-Louis Martinelli au théâtre des Amandiers à Nanterre, 2007.

[2] Kliniken (Crises), traduction de C. Bouchet, J.-L. Martinelli, A. Roig-Mora, L’Arche, 2022 (2003), p. 126

[3] Ibid., p. 118.