Art contemporain

Toutes les cloches sont des oreilles – sur Silent Echoes. Notre-Dame de Bill Fontana

Philosophe et écrivain

Sur la terrasse Sud du cinquième étage du Centre Pompidou, à Paris, l’artiste américain Bill Fontana fait entendre des cloches qu’un incendie a réduites au silence : celles de Notre-Dame. Cette installation d’une finesse remarquable déplace les cloches sans presque les toucher, en captant les vibrations silencieuses qui y résonnent en secret. L’espace sonore qu’il compose se mêle aux sons d’une ville qu’on apprend à écouter autrement, depuis un point d’ouïe impossible, celui de dix grandes oreilles de métal.

Un jour, au cours d’un entretien qui donnera lieu à un livre célèbre, John Cage montra à Daniel Charles le cendrier qui était posé, imagine-t-on, sur une table à proximité. « Regardez ce cendrier. Il est dans un état de vibration. Nous en sommes sûrs, et le physicien peut nous le prouver. Mais nous ne pouvons entendre ces vibrations. Quand je suis entré dans la chambre anéchoïque, j’ai pu m’entendre moi-même. Eh bien, je veux à présent, au lieu de m’écouter moi-même, écouter ce cendrier. Pour cela, je ne vais pas le frapper, comme je le ferais d’un instrument à percussion. Je vais écouter sa vie intérieure grâce à une technologie appropriée, qui n’aura sûrement pas été montée pour cela[1]. »

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Cette découverte de Cage, que tout émettait continument un son, aussi peu audible soit-il, représenta l’acmé de ce que Douglas Kahn a appelé sa « panauralité[2] », selon lui caractérisée par ces deux propositions concomitantes : tous les sons et le son toujours. Autrement dit, tout toujours émet un son et donc tout peut être entendu. Son expérience de la chambre anéchoïque en 1952 n’était qu’un des morceaux du puzzle. Il en déduisit que le son était toujours (le silence n’existe pas). Mais pour que le son soit partout, il fallait aussi que tout vibrât, même l’inerte cendrier. Cage ne réalisa jamais ce projet d’écoute des vibrations inaudibles de la matière mais d’autres l’entreprirent après lui.

Dans Silent Echoes. Notre-Dame, une installation visible et audible sur la terrasse Sud du Centre Pompidou, Bill Fontana, qui fut l’élève de John Cage à New York dans les années 1960 (à la New School for Social Research), projette sur trente haut-parleurs les vibrations des dix cloches de la cathédrale Notre-Dame, dont on peut voir au loin les deux tours se dessiner au-dessus des toits de l’église Saint-Merri. Tout comme le cendrier de Cage, mais certainement de manière plus harmonique, les cloches de Notre-Dame vibrent continument, sous l’effet des sons ambiants, du vent et de


[1] John Cage, Pour les oiseaux : entretiens avec Daniel Charles, L’Herne, Paris, 2002, p. 308.

[2] « Ainsi, le son n’était-il plus lié à des évènements : dans la mesure où il résonnait dans chaque atome, il existait en tant qu’état continu. Tout toujours émettait un son, et tout pouvait être entendu ; tous les sons et le son toujours allait de pair avec la panauralité (panaurality). », Douglas Kahn, Noise, Water, Meat: A History of Sound in the Arts, The MIT Press, Cambridge, 1999, p. 159 (ma traduction).

[3] Cité par Brandon LaBelle dans Background Noise : Perspectives on Sound Art, Continuum, New York, 2006, p. 233 (ma traduction).

Bastien Gallet

Philosophe et écrivain

Notes

[1] John Cage, Pour les oiseaux : entretiens avec Daniel Charles, L’Herne, Paris, 2002, p. 308.

[2] « Ainsi, le son n’était-il plus lié à des évènements : dans la mesure où il résonnait dans chaque atome, il existait en tant qu’état continu. Tout toujours émettait un son, et tout pouvait être entendu ; tous les sons et le son toujours allait de pair avec la panauralité (panaurality). », Douglas Kahn, Noise, Water, Meat: A History of Sound in the Arts, The MIT Press, Cambridge, 1999, p. 159 (ma traduction).

[3] Cité par Brandon LaBelle dans Background Noise : Perspectives on Sound Art, Continuum, New York, 2006, p. 233 (ma traduction).