Les « pouvoirs » du théâtre – sur trois tragédies de Shakespeare

Lear : […] Allez, parle !
Cordélia : Rien, mon lord.
Lear : Rien ?
Cordélia : Rien.
Lear : Rien ? Mais rien ne sortira de rien ! Parle encore !
« Le Roi Lear » (I,1), trad. Olivier Cadiot, P.O.L, 2022
Richard II : […] Parfois je suis roi,
Alors les trahisons me font souhaiter d’être un mendiant,
Et c’est ce que je suis. Alors la misère oppressante
Me persuade que j’étais mieux quand j’étais roi ;
Alors je suis roi de nouveau, et bientôt,
Je pense que je suis détrôné par Bolingbroke,
Et aussitôt je ne suis plus rien. Mais quoi que je puisse être,
Ni moi ni aucun homme qui n’est qu’un homme,
Ne sera satisfait de rien jusqu’à ce qu’il soit soulagé,
De n’être rien.
« Richard II » (V, 5), trad. Jean-Michel Déprats, Gallimard, 1998
Coriolan : […] Ainsi, dédaignant, à cause de vous, ma patrie, je lui tourne le dos. Il y a un monde ailleurs.
« Coriolan » (III,3), trad. François Guizot, Ladvocat, 1821
Que peut le théâtre ? C’est la question que chacune à sa manière soulèvent les trois productions qui cet automne se confrontent aux tragédies de Shakespeare : Richard II aux Amandiers de Nanterre, Coriolan au théâtre de la Bastille et Le Roi Lear à la Comédie Française. Cette question était déjà présente à l’époque élisabéthaine même si elle n’avait pas tout à fait le même sens. En 1601, à la veille d’un complot censé renverser la reine Elisabeth, Richard II (publié en 1597) fut rejoué à la demande des amis du putschiste, le comte d’Essex. La pièce était censée galvaniser les foules contre Elisabeth qui ne manqua pas de se reconnaître en Richard II fuyant l’insurrection de Bolingbroke. Essex fut arrêté et décapité et la pièce fut mentionnée au cours du procès. Que le théâtre puisse influer le cours de la vie de l’État, comme le procureur de la reine – Sir Francis Bacon – le suggéra[1], n’est plus vraiment imaginable aujourd’hui.
Cela n’empêche cependant pas les metteurs en scène de lier les pièces de Shakespeare à l’actualité la plus contemporaine. Christoph Rauck