Ballon rond et corruption – sur FIFA Uncovered, docu-série de Daniel Gordon
«Ils ne parlaient jamais de football. Ils passaient leur temps à se bagarrer tout le temps. Ils agissaient vraiment comme des enfants. Il n’y avait aucune limite à leurs bêtises. »
On se doutait bien que la FIFA n’avait plus grand-chose à voir avec le jeu, que les intrigues, les pièges tendus et les intérêts personnels prenaient toute la place au sein de son comité exécutif (devenu en 2016 Conseil de la FIFA) mais lorsque c’est un de ses anciens membres qui l’affirme, la suspicion prend tout de suite une autre épaisseur.
Le Qatari Mohammed bin Hammam, ancien président de la Confédération asiatique de football (AFC), siégea durant quinze ans au sein de ce soviet suprême, alors composé uniquement d’hommes, qui décide de l’attribution de l’organisation de la Coupe du Monde. En 2011, bin Hammam brigua même la place du calife Blatter et… tomba pour une sombre histoire d’enveloppes de 40 000 dollars distribuées dans une chambre d’hôtel de Port of Spain, à Trinidad and Tobago.
Une pratique du pot-de-vin pourtant coutumière à entendre Phaedra Almajid, qui fut chargée des relations avec les media internationaux pour le candidat Qatar (avant de se voir poser un ultimatum de trois jours pour quitter l’émirat) et qui réitère les allégations selon lesquelles elle a vu à l’époque, là encore dans une chambre d’hôtel, Hassan Al Thawadi, patron de la Coupe du Monde 2022, promettre la somme d’un million et demi de dollars à trois membres de la Confédération africaine de football (CAF) en échange des votes de ses représentants pour le Qatar. « Diriger la FIFA en suivant le code d’éthique ? Bon courage ! Pas sûr que ce soit possible. Le monde ne marche pas comme ça », recadre le Français Jérôme Valcke, secrétaire général de la FIFA de 2007 à 2015, lui aussi tombé au front de la corruption mise à jour par les enquêteurs du FBI. Bin Hammam, Almajid, Al Thawadi, Valcke : quelques-uns des témoins qui défilent devant la caméra de Daniel Gordon dans la mini-série FIFA Uncovered, disponible sur la plateforme Netflix. Avec, en guest star, Blatter qui, à 86 ans, n’a rien perdu de sa civilité et de son aplomb et s’est donc prêté au jeu.
Chapitre 1 : The rise of Sepp Blatter
La FIFA voit le jour en 1904. C’est une association à but non lucratif qui a pour objectif la cohésion sociale. Longtemps elle reste à échelle humaine, à hauteur de gazon. Mais tout change en 1974 quand l’industriel brésilien Joao Havelange succède à l’arbitre britannique Stanley Rous à la tête de l’institution. Havelange a fondé sa campagne sur le bannissement de l’Afrique du Sud de l’apartheid mais il a aussi promis beaucoup d’argent à droite et à gauche. La politique et le capitalisme viennent de prendre leurs quartiers à la FIFA. C’est là qu’entre en scène un spécialiste du marketing, un certain Sepp Blatter, avec pour mission d’aller chercher l’argent qui fait défaut. Le Suisse convainc Coca-Cola. Adidas et KLM suivent.
La Coupe du Monde 1978 devient un produit en même temps qu’elle s’acoquine avec l’un des dirigeants les plus abjects du XXe siècle : le Général Videla. « Je ne fais pas de politique », aime à répéter Havelange. En réalité, il pratique la pire : soutenir un dictateur en acceptant d’être sa marionnette. Le péché originel a été commis. Les fondations sont posées. L’Argentine, premier exemple de football washing avant la Russie et le Qatar, a écrit le manuel du parfait savoir-faire à l’usage des dirigeants de la FIFA.
Horst Dassler, l’héritier d’Adidas, est chargé par Havelange du plan d’organisation global de la Coupe du Monde 1982 en Espagne : vente des droits marketing et de diffusion. En 1983, Dassler créée la société ISL (International Sport and Leisure) qui va s’accaparer les droits de la FIFA durant des années. Le début d’une ère obscure. Havelange prend une commission sur chaque contrat. Entretemps, Blatter a été nommé secrétaire général de la FIFA. Autrement dit, c’est lui qui tire toutes les ficelles car Havelange, qui vit au Brésil, ne passe que que rarement au siège de Zürich. Les deux hommes se comportent en barons. Leur train de vie est dispendieux. Blatter sait Havelange corrompu, il va sceller avec lui une sorte de pacte du diable pour lui succéder en 1998.
Chapitre 2 : And the winner is
En 2001, ISL fait faillite, la société laissant derrière elle beaucoup de dettes : la FIFA perd son banquier en quelque sorte. Et comme les emmerdes volent en escadrille, l’année suivante, Michel Zen-Ruffinen, l’avocat suisse nommé secrétaire général par Blatter, relève des dysfonctionnements au sein de l’association. Il est viré. Et désormais, la Coupe du Monde se vendra au plus offrant, à commencer par l’Afrique du Sud de Nelson Mandela, dont l’excellent dossier de candidature ne méritait pas être rattrapé par les turpitudes des sénateurs véreux de Zürich.
Où l’on fait ici connaissance avec le Trinidadien Jack Warner et l’Américain Chuck Blazer, respectivement président et secrétaire général de la Confédération de football d’Amérique du Nord, d’Amérique centrale et des Caraïbes (CONCACAF). Le premier est un politicien et homme d’affaires omnipotent sur son île au large des côtes vénézuéliennes. Le second se définit lui-même comme « un vieil escroc du Queens ». Un duo auquel le mode de scrutin de la FIFA – un pays, une voix – donne un pouvoir considérable, trois fois plus important que celui des représentants de l’Amérique du Sud. Cette position privilégiée va faire de Jack et de Chuck les rois de la corruption, jusqu’à dérober 10 millions dollars qu’ils étaient censés redistribuer à la diaspora africaine de leur région.
Chapitre 3 : The chicken come home to roost
En 2010, Warner et Blazer votent pour le Qatar, c’est-à-dire contre leur propre confédération, candidate à l’organisation de la Coupe du Monde 2022 par l’entremise des États-Unis. Bin Hammam est alors déjà en marche pour succéder à Blatter. Warner organise la réunion de Port of Spain à sa demande, les fameuses enveloppes de 40 000 dollars sont distribuées et comme on ne peut se fier à personne dans ce panier de crabes, Blazer, qui pensait que cette réunion était une mauvaise idée, dénonce ses amis.
Dans le même temps, le FBI a demandé à ses agents d’élargir leur champ d’investigation aux crimes internationaux ayant des ramifications sur le territoire américain. Des documents confidentiels sur Blazer fuitent. Le 30 novembre 2011, celui-ci est interpelé à la sortie de son domicile situé au sommet de la Trump Tower (les bureaux de la CONCACAF se trouvent quelques étages plus bas) sur la Cinquième Avenue à New York. Il encourt pour l’ensemble de son œuvre entre 75 et 100 ans de prison. Le FBI lui offre l’alternative de la coopération. « Je vais vous aider les gars, c’est beaucoup plus gros que vous le croyez », leur répond le vieil escroc du Queens.
Chapitre 4 : Too close to the sun
Jack Warner a démissionné, le monarque Blatter a été réélu et les magouilles c’est fini, promis juré. « La FIFA n’est pas corrompue », s’emporte Blatter. C’est justement la question à laquelle va tenter de répondre le Département de la Justice des États-Unis. « Racket », « fraude », « blanchiment » : les termes qui reviennent dans l’enquête du procureur Evan Norris sont habituellement employés à l’endroit de la mafia ou des cartels de la drogue. La FIFA est-elle une organisation criminelle ou a-t-elle été victime de la corruption ? Blatter ne touche plus terre. Il se prend à rêver du Prix Nobel de la Paix. Se voit en médiateur pour le Moyen-Orient. Pendant ce temps, à l’aéroport de Katmandou, les avions de Qatar Airways commencent à ramener les cercueils des ouvriers morts sur les chantiers de la Coupe du Monde à leurs veuves : 1 000 recensés par les autorités népalaises et indiennes rien que pour la période 2012-2014. Le « parrain » est pourtant reconduit pour un cinquième mandat lors d’un congrès surréaliste qui, le 27 mai 2015, voit le FBI effectuer une descente dans un hôtel de Zürich et arrêter quatorze personnes. Quatre jours plus tard, Blatter consent enfin à tirer sa révérence.
En 2021, après 50 mises en examen, la justice américaine déclare finalement la FIFA « victime de la corruption ». Chuck Blazer est mort avant de connaître sa sentence. Jack Warner reste introuvable. Semblant imperméable à tout, y compris aux accusations d’agression sexuelle proférées par l’ancienne gardienne de but américaine Hope Solo et des joueuses de l’équipe d’Haïti, Sepp Blatter conclut : « J’ai la conscience tranquille ». Et « l’illusion demeure », comme le dit poétiquement l’un de ses anciens conseillers. En d’autres termes, the show must go on.