Hommage

Dans le souffle de François Tanguy (1958-2022)

Philosophe

Le metteur en scène du Théâtre du Radeau est mort le 6 décembre, laissant un dernier spectacle, Par autan, qui dans la veine d’une recherche de l’échappée poétique, détricote et fragmente, ôte aux objets leur rôle symbolique et dessaisit les acteurs de leur identité, pour expérimenter en permanence la dissolution d’un milieu et sa reprise.

« C’est […] cela “aller dans les champs”. Retisser des rapports dans le faire et le regard, l’écoute et le saisissement. Travailler à réinscrire cet “avoir lieu” dans le présent, l’effectuation de l’acte. Il y faut de l’espacement et de l’air entre les signes et les corps physiques. Chercher les respirations au lieu de les mimer. Creuser dans l’espace un nécessaire renversement de l’illusionnisme et de ses codes[1]. »
François Tanguy

 

« Le promeneur est constamment escorté par quelque chose de singulier, de fantastique, et il serait stupide s’il entendait n’accorder aucune attention à cet élément immatériel ; mais ce n’est nullement le cas, au contraire il accueille de grand cœur tous ces phénomènes étranges, il fraternise et se lie d’amitié avec eux, en fait des corps dotés de formes et d’une riche substance, il leur donne âme et les façonne, comme à l’inverse ils lui réjouissent l’âme et le façonnent[2]. »
Robert Walser

 

Par autan est le nom que François Tanguy, metteur en scène du Théâtre du Radeau, a donné à son dernier spectacle. L’autan, c’est un vent du Sud, un vent d’où naît la folie et par quoi tout s’envole, à la manière des pages disséminées sur le plateau du spectacle éponyme essaimant les mots des poètes, des philosophes, des écrivains par-delà le livre, par-delà la voix, par-delà les corps.

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Ce qui reste dans le passage du vent ? Le souffle de tous ces poètes, que François Tanguy incarnait dans la puissance de sa présence et de ses créations, et qu’il offrait si généreusement, avec ses compagnons de théâtre et de vie, à ceux qui voudraient bien s’arrêter pour voir et écouter. Car le Théâtre du Radeau se vit certes sous forme de spectacles, mais il est aussi un lieu d’échange, de partage, de rencontre, et donc de dispute au sens du désaccord et de l’argument, tout cela au nom de ce que l’on pourrait qualifier une radicalité éthico-poétique. François Tanguy, farouche poète du Radeau, nous a quittés le 7 décembre dernier, laissant derrière lui une œuvre et des expériences inestimables.

François Tanguy rejoint le Théâtre du Radeau, originairement créé par l’actrice Laurence Chable, en 1982. Ensemble, ils investissent à partir de 1985 les bâtiments d’un ancien garage automobile de la ville du Mans, qu’ils ont appelé La Fonderie et progressivement réaffecté, avec la collaboration de l’architecte Patrick Bouchain. Désormais la structure est munie de salles de travail, de plateaux, d’un studio d’enregistrement, d’une salle de projection, d’espaces d’accueil, de bureaux, de salons, de cuisines et de chambres.

La Fonderie fait partie intégrante du projet du Théâtre du Radeau qui, tout en contribuant à la réinvention des formes théâtrales contemporaines, a toujours formé le désir et la possibilité de la création d’un espace de vie où viendrait se loger du commun. Elle s’est ainsi construite comme un lieu de travail, de recherche et de diffusion pour les arts et les artistes, de théâtre et musicaux principalement, mais elle accueille aussi des associations, des collectifs, des écoles d’art, ou encore des structures psychiatriques (la clinique de La Borde, fondée par le psychiatre Jean Oury en 1953, par exemple, y mène régulièrement des ateliers). Tous ces croisements font de la Fonderie un territoire riche et foisonnant où la vie quotidienne se mêle au travail à la faveur de la création, de la poésie, de la pensée et de l’amitié.

Sous l’impulsion de François Tanguy, les spectacles du Théâtre du Radeau se sont très vite présentés comme des assemblages de textes, d’objets et de matériaux hétéroclites accompagnés d’un travail plastique, scénographique, d’acteurs et musical inédit. François Tanguy ne montait pas des textes de théâtre[3], mais faisait apparaître sous nos yeux des tableaux de paysages théâtraux mobiles et mouvants.

Faits « de bois et d’acteurs[4] », dira l’essayiste Jean-Paul Manganaro pour en souligner la simplicité de moyens, ces tableaux ne cessent de se construire, de se déconstruire et de se reconstruire, au cours des répétitions et des représentations, mais aussi créations après créations, dessinant au-delà de leur unité propre, par les transitions qui les animent et au fil du temps, une fresque monumentale en perpétuel mouvement, aussi éblouissante qu’inaccessible. C’est que le Théâtre du Radeau affirme sa conscience et son vouloir d’être pris dans les filets d’une historicité et d’une temporalité précaires, fuyantes, mais continues malgré leurs disruptions, qui feront que, dans ses modes d’apparition et de disparition, le théâtre appelle à une synthèse qui demeure à jamais inachevée mais qui tente cependant d’être maintenue dans sa propre évanescence.

Les fragiles embarcations sont ainsi fabriquées à partir de matériaux et d’objets glanés ou récupérés ici et là : greniers, antiquaires, déchetteries, braderies, chantiers, dons, anciens magasins de théâtre. Ainsi en est-il des tables, chaises, portes, châssis, panneaux, lampes, épées, porte-voix, bouts de tissu, bancs, armoires, caisses, planches, animaux naturalisés, costumes, accessoires, etc., que l’on peut voir animés sur scène et que l’on retrouve aussi dans Par autan. À l’instar de l’artiste Tadeusz Kantor, François Tanguy portait une attention toute particulière à l’objet pauvre, « arraché à la réalité de la vie[5] » pour exister sous un mode propre à la scène et au jeu.

Les objets du Radeau ont ce pouvoir d’être des agents du théâtre, de son temps et de son espace.

Bien souvent, les rebuts ne sont pas soumis à une opération de lissage, de retape, de restauration, même s’ils peuvent être bricolés. Les transformations qu’ils ont subies et leurs dégradations ne sont pas niées mais assumées. Aussi peut-on voir dans les spectacles des tissus déchirés, des costumes troués, des panneaux avec des restes de papiers journaux ou de tapisseries collés, des couleurs passées, des chaises bancales et disparates.

Tous ces objets perdus, éperdus même, qui apparaissent dans les scénographies de François Tanguy témoignent d’un passé, d’une histoire révolue, celle des hommes et des êtres de nature comme celle du théâtre, et font office de mémoire. Pour autant, en étant relancés dans le flux du temps de la représentation et de sa possible reprise, ils apparaissent non plus seulement comme de simples reliques mais comme des sites du chevauchement des temps et des traces d’anachronisme. Ils montrent à la fois l’inéluctable passage du temps et sa tension vers un a-venir.

Les objets du Radeau sont donc en quelque sorte – métaphoriquement j’entends – vivants. Ils ont ce pouvoir d’être des agents du théâtre, de son temps et de son espace. C’est ce que Par autan signale à nouveau : les objets sont dotés d’une force de vie, et à cet égard, ils activent et agissent, comme cette épée qui fait « entendre un son bref, un soupir[6] » qu’évoque le fragment de Tableau vivant de Robert Walser qui ouvre le spectacle. Ainsi en est-il de l’hermine blanche naturalisée posée sur une table face spectateurs en avant-scène du premier tableau de Par autan, tout à la fois témoin et actrice discrète de la comédie humaine qui commence de se jouer sous ses yeux à elle, sur la scène renversée du theatron, celle des spectateurs.

En tant qu’agents du théâtre, les objets admettent une valeur pour eux-mêmes : ils ne sont pas utilisés pour leur fonctionnalité habituelle. L’animal naturalisé a ordinairement le rôle d’un objet de décor qui a longtemps asserté symboliquement du pouvoir des humains sur les animaux, mais ici il est un regard venu d’ailleurs qui se pose sur le lieu d’où l’on regarde, déplaçant légèrement les règles du dispositif spectatoriel tout en interrogeant la tentation d’une pulsion scopique chez le spectateur, ainsi qu’en arrière-plan les rapports de pouvoir homme-animal.

Les objets n’ont pas non plus de valeur indicielle dans le théâtre de François Tanguy : la table sur laquelle se trouve l’hermine n’indique ni l’espace d’une cuisine, d’un salon, ou encore d’un bureau où se déroulerait l’action. D’ailleurs celle en avant-scène de l’ouverture de Par autan est surmontée d’une autre table, ce qui les rendent l’une comme l’autre inutilisables en termes d’indice.

Enfin, l’objet n’a pas de valeur symbolique en un sens ordinaire, comme si l’hermine était là pour signaler la pureté et l’innocence du jeu théâtral par exemple. Pour autant, si ces valeurs des objets ne sont pas mobilisées en tant que telles, il n’en est pas moins que François Tanguy en jouait d’une manière distanciée, parfois explicitement comique, grotesque et/ou critique, mais jamais ironique, car son regard quant à ces différentes tentatives de signification restait rempli de tendresse, choisissant toujours le parti de la sincérité et de la douceur plutôt que celui du factice et de la cruauté

C’est sous une dimension fragmentaire que les objets du Théâtre du Radeau apparaissent : au cadre, il manque la toile, un châssis ne supporte rien, des portes sont sans mur d’appui, le tout perceptible en profondeur sur plusieurs couches. De la sorte, tout sur la scène semble pouvoir être traversé, rien n’y est fixe, ni absolument déterminé par des bordures ou des frontières.

De même, les extraits de texte, qui relèvent de registres et de genres très différents, sont des morceaux collés les uns aux autres, à la manière d’une mosaïque se dépliant dans le temps. Dans Par autan, nous entendons par exemple les voix de Robert Walser, William Shakespeare, Franz Kafka, Luis de Gongora, Søren Kierkegaard, Heinrich von Kleist, Anton Tchekhov, Fedor Dostoievski.

Il en est de même de la création sonore, que François Tanguy travaille avec Éric Goudard, et qui pour Par autan est en partie interprétée au piano sur scène par l’artiste Samuel Boré de l’Ensemble Offrande. Treize compositeurs y sont joués, parmi eux Johannes Brahms, Anton Dvorak, Felix Mendelssohn, Gabriel Pierné, Gueorgui Sviridov, etc. Ces morceaux de piano coexistent avec des chants d’oiseaux et d’acteurs.

Tous ces fragments se suivent, s’enjambent, s’enchevêtrent, se recouvrent, se communiquent le mouvement. Ils vont et viennent, introduisent des dérivations et des ruptures scéniques et dramaturgiques, non pas au sens du fil narratif, du muthos grec, que le théâtre contemporain a mis à distance, mais plutôt dans les registres parcourus, qui vont du comique au tragique, du pathétique au burlesque, de l’oratoire à l’épique et dans des effets de superpositions asymétriques quand par exemple la gaieté vient côtoyer la mélancolie.

Les indéterminations et les lacunes des fragments, leur éparpillement et leur flou relatifs, car aucun d’eux ne vient illustrer quoi que ce soit, produisent des champs de vision, qui se forment et se déforment, cédant au regard et à l’oreille, en dépit d’une impression de dispersion, des unités poétiques et paysagères fugaces et saisissantes. Et dans les rythmicités de la scène qui ressortent de ces « machines de vision[7] », ce sont les drames et les joies du théâtre et de la vie qui viennent se rejouer pour nous tous. Car le théâtre comme la vie proposent des modes d’existence toujours parcellaires, transitoires, manquants, mais qui dans leurs intervalles et leurs espacements, se risquent à l’événement.

C’est précisément ce que les actrices et les acteurs du Théâtre du Radeau font quand ils jouent, ou pour être plus précise quand ils actionnent les éléments de l’embarcation en même temps qu’ils sont animés par eux (objets scénographiques, textes, musiques, lumières). La dé-hiérarchisation et la réversibilité des rapports de participation entre l’ensemble des éléments qui composent un spectacle et les acteurs sont soulignées par Laurence Chable lorsqu’elle affirme : « On joue ensemble, c’est-à-dire qu’il y a une sorte d’animaanimation plurielle[8]. »

Ainsi, les acteurs déplacent des panneaux, allument et éteignent des lumières, tirent des rideaux, ouvrent des portes, traversent des canapés, des cadres, marchent sur des planches bancales et obliques, sortent des armoires, portent des masques, de fausses barbes ou de fausses moustaches, des robes à crinolines, des chapeaux fantaisistes, des casques de soldat, des couronnes en papier, brandissent des épées, etc. Ils semblent là chercher ensemble quelque chose hors d’atteinte, comme l’ouverture d’un événement, qui par définition ne se calcule pas. Leur mise est parfois grotesque, riante et triste à la fois, comme nous le font sentir ces fausses moustaches excessives dont se parent les acteurs de Par autan.

Par leurs manœuvres et dans leurs costumes, les acteurs se voient tout à la fois dessaisis de leur identité labile et animés par des altérités qui viennent les habiter de manière fantomatique et spectrale : « Ça transporte, ça transfère, ça crible (au sens de tri). Le costume n’est pas là pour faire accord avec toi, il a son autonomie, il crée une sorte de hors-champ de toi, très précieux. C’est aussi une instance. […] Un costume, c’est une vibration, c’est une trace que tu vas pouvoir suivre, écouter. Alors c’est déjà une aide à se débarrasser d’un soi-même, tout à fait joyeuse et jubilatoire ; et bien que ce soit un ajout sur le corps, cela désencombre. Au lieu de définir une identité, il donne de l’hétérogénéité, de l’altérité. Se grimer, c’est laisser faire quelque chose. Dans les costumes, il y a souvent quelque chose qui va pendouiller, ou briser une unité, une cohérence, qui va écarter. Si c’est un peu déchiré, un peu craspouille, il y a déjà une histoire… que tu ne connais pas. On se confie à se mystère. Tu portes, tu es porté le plus souvent[9]. »

Chez François Tanguy, les échappées poétiques sont liées à des questions éthiques et politiques.

Les voix s’articulent à ces transports en ne se réglant jamais sur des tonalités et des rythmes ordinaires. Les dictions proviennent d’un en-deçà des intonations socialement normées et codifiées. Les voix chuchotent, marmonnent, susurrent, grognent, se plaignent, déclament, claquent, chantent dans des langues différentes en suivant des procédés de cassure et de variation. En provoquant des flottements et des indécisions quant au sens, elles accompagnent l’écoute des textes vers un plaisir du décentrement qui rend vain toute tentative d’appropriation par des significations toutes prêtes.

Par leurs maintenances, leurs ports et leurs voix, les acteurs font alors doublement advenir un espace de visibilité hétéroclite, polyphonique et plurisensoriel : en tant qu’œuvre, d’une part, en faisant apparaître une forme provisoire, en montrant l’autogenèse de la forme théâtrale à elle-même, et en tant qu’événement, d’autre part, en lui offrant une densité, une intensité et une incandescence inégalées, déjà plein de son propre retrait et effondrement. Le philosophe Henri Maldiney évoquerait ce processus de surgissement par « le là[10] » de l’œuvre, à savoir son ouverture, sa puissance intégrative et sa présence.

Tous ces éléments, qui font dans leur association dynamique expérimenter en permanence la dissolution d’un milieu et sa reprise, rendent ce que François Tanguy appelait « la tâche[11] » des acteurs et des spectateurs complexe et exaltante. Et de fait, si les acteurs ne sont pas là pour illustrer, représenter, expliquer des textes, les spectateurs ne sont pas non plus conviés à de simples processus de reconnaissance de ce qui leur est présenté. Les disparitions d’agencements obligent à réaménager des équilibres sensoriels et kinesthésiques, à questionner et à repenser des rapports, à réinventer des lignes de vie et des articulations, à retisser d’autres fils du réel et d’autres attachements.

L’effort auquel François Tanguy poussait alors chacun d’entre nous, acteurs (parmi lesquels je compte les techniciens) et spectateurs c’était d’« ouvrir des champs de possibilité[12] », de créer des échappées, grâce auxquelles chacun peut s’extraire de la répétition de ce qu’il sait/fait/est ou de ce qu’il croit savoir/faire/être, pour se ressaisir des mouvements incertains et inquiétants de l’existence et toujours les remettre sur l’établi, au travail.

Cela peut être possible non pas en s’obstinant dans une volonté de savoir « quoi et pourquoi » mais en étant disponible à des modes d’apparition et à leurs résonances. Et c’est ainsi que les rêves, les associations, les divagations, les souvenirs, les projections, les imaginaires, les rires et les larmes, les plaisirs et les désirs commencent à fendre l’existant pour y insérer des brèches. « Aller à la rencontre, c’est précisément ne pas projeter, avant d’engager le pas, ce que l’attraction des corps et des éléments, des traversées et des résonances, vont orienter, redistribuer dans les parcours, les sédiments, les collisions, les accidents, du “milieu” qui se forme[13]. »

Chez François Tanguy, ces échappées poétiques sont liées à des questions éthiques et politiques. Les processus de transformation, fussent-ils imparfaits, précaires, passagers, ne s’effectuent qu’au cœur de ce que son ami le philosophe Jean-Luc Nancy appelait l’être-avec, au cœur de ce complexe singulier pluriel, ou encore, avec les termes de Søren Kierkegaard entendus dans Par autan, au cœur de la dynamique paradoxale de l’individu et du général[14].

Aussi les décentrements, les dérivations, les pas de côté, les infléchissements des spectacles de François Tanguy sont-ils des appels à l’élargissement éthique et politique de ce que Michel Foucault nomme des contre-conduites visant à interroger et à déconstruire nos conservatismes, nos appropriations, nos stagnations en tous genres, pour repenser et réinventer de nouvelles modalités d’être et de cohabitation au monde, dans l’envie de toujours davantage de soutien, de solidarité, d’amitié. Les soins qu’il prodiguait aux objets ; ses engagements auprès des plus démunis, des plus vulnérables, des exclus, des plus exposés aux abus de pouvoir et aux rapports de domination : les migrants, les pauvres, les réfugiés de guerre (pensons à ses prises de position dans le cadre de la guerre en ex-Yougoslavie ou en Ukraine) ; ses attachements aux êtres de nature : les animaux, les végétaux, les minéraux ; ses convocations des morts, des absents, comme de ceux qui auraient pu être mais ne seront jamais, enfin de ceux qui viendront ; toutes ces façons de se tenir dans l’existence qu’il a su partager, sur la scène comme dans la vie, rappellent que nos vies individuelles et collectives sont dotées d’une épaisseur infinie dans le temps et dans l’espace, une épaisseur que nous avons à prendre en charge et à risquer au nom de notre liberté commune.

Autrement dit, les créations et les moments de convivialité offerts par François Tanguy et le Théâtre du Radeau sonnent bien comme une invitation à « aller aux champs[15] ». La tâche pourrait paraître écrasante, étouffante[16], entend-on dans Par autan, or elle est aussi légère et pleine de gaieté. Car, comme le montrent avec éclat les spectacles de François Tanguy, la poésie[17], le rêve et le rire (avec et non de) sont là, en creux, pour faire effraction, pour raviver l’atmosphère et nous revivifier, en offrant des possibilités de décollement et d’envol, des espaces de dessaisissement radical à partir desquels de nouvelles perspectives éthico-poétiques pourront naître.

Mais, dans la stupeur de la disparition, laissons place au silence, prenons le temps du recueillement, celui du lent et douloureux passage du monde des vivants au monde des morts, et nous saurons bientôt percevoir les signes des résurgences du poète total qu’était François Tanguy.

Merci François Tanguy et merci aux tiens, au Théâtre du Radeau et à la Fonderie.

Par autan, mise en scène et scénographie de François Tanguy, en tournée en 2023.

Théâtre national de Strasbourg du 6 au 14 janvier 2023 ; l’Archipel – Scène nationale de Perpignan, les 25 et 26 janvier 2023 ; comédie de Caen – CDN, les 2 et 3 février 2023 ; centre dramatique national de Besançon, les 8 et 9 mars 2023.


[1] François Tanguy, entretien avec Jean-François Perrier, Festival d’Avignon, 16 juillet 2008.

[2] Robert Walser, La Promenade, trad. Bernard Lortholary, Paris, Gallimard, coll. « L’imaginaire », 1987 [1917], p. 81.

[3] À l’exception du Don Juan de Molière (1982) et du Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare (1985).

[4] Jean-Paul Manganaro, François Tanguy et le Radeau, Paris, POL, 2008, p. 7.

[5] Tadeuz Kantor, Leçons de Milan, trad. Marie-Thérèse Vido-Rzewuska, Arles, Actes Sud-Papiers, 1990, p. 18.

[6] Robert Walser, Tableau vivant (Petits essais), trad. Jean Launay, Paris, Gallimard, 1999, cité dans Par autan, création de François Tanguy, 2022.

[7] L’expression est de Patrick Condé, un des anciens acteurs du Théâtre du Radeau.

[8] Laurence Chable, « Jeu : et prolongation. Propos recueillis par Éric Vautrin », in Éric Vautrin (dir.), Théâtre/Public, n°214 : « Variations Radeau », Montreuil, Éditions théâtrales, oct.-déc. 2014.

[9] Ibid., p. 110.

[10] Henri Maldiney, Art et existence, Paris, Klincksieck, 2003, p. 8.

[11] François Tanguy, propos recueillis par Jean-François Perrier, février 2008, en ligne.

[12] Ibidem.

[13] François Tanguy, entretien avec Jean-François Perrier, Festival d’Avignon, juillet 2008.

[14] Søren Kierkegaard, Crainte et tremblement, dit dans Par autan, création de François Tanguy, 2022.

[15] François Tanguy, entretien avec Jean-François Perrier, Festival d’Avignon, 16 juillet 2008.

[16] Le motif de l’étouffement apparaît à deux reprises dans Par autan dans des extraits de La Mouette et de La Noce d’Anton Tchekhov.

[17] Dans Par autan, l’actrice Martine Dupé montre le chemin en disant ces mots de La Noce de Tchekhov : « Donnez-moi de la poésie, des exaltations ! Éventez, éventez… »

Rachel Rajalu

Philosophe, Enseignante à l'École supérieur d'art et de design TALM-Le Mans

Notes

[1] François Tanguy, entretien avec Jean-François Perrier, Festival d’Avignon, 16 juillet 2008.

[2] Robert Walser, La Promenade, trad. Bernard Lortholary, Paris, Gallimard, coll. « L’imaginaire », 1987 [1917], p. 81.

[3] À l’exception du Don Juan de Molière (1982) et du Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare (1985).

[4] Jean-Paul Manganaro, François Tanguy et le Radeau, Paris, POL, 2008, p. 7.

[5] Tadeuz Kantor, Leçons de Milan, trad. Marie-Thérèse Vido-Rzewuska, Arles, Actes Sud-Papiers, 1990, p. 18.

[6] Robert Walser, Tableau vivant (Petits essais), trad. Jean Launay, Paris, Gallimard, 1999, cité dans Par autan, création de François Tanguy, 2022.

[7] L’expression est de Patrick Condé, un des anciens acteurs du Théâtre du Radeau.

[8] Laurence Chable, « Jeu : et prolongation. Propos recueillis par Éric Vautrin », in Éric Vautrin (dir.), Théâtre/Public, n°214 : « Variations Radeau », Montreuil, Éditions théâtrales, oct.-déc. 2014.

[9] Ibid., p. 110.

[10] Henri Maldiney, Art et existence, Paris, Klincksieck, 2003, p. 8.

[11] François Tanguy, propos recueillis par Jean-François Perrier, février 2008, en ligne.

[12] Ibidem.

[13] François Tanguy, entretien avec Jean-François Perrier, Festival d’Avignon, juillet 2008.

[14] Søren Kierkegaard, Crainte et tremblement, dit dans Par autan, création de François Tanguy, 2022.

[15] François Tanguy, entretien avec Jean-François Perrier, Festival d’Avignon, 16 juillet 2008.

[16] Le motif de l’étouffement apparaît à deux reprises dans Par autan dans des extraits de La Mouette et de La Noce d’Anton Tchekhov.

[17] Dans Par autan, l’actrice Martine Dupé montre le chemin en disant ces mots de La Noce de Tchekhov : « Donnez-moi de la poésie, des exaltations ! Éventez, éventez… »