Passage des fantômes – à propos de Tár de Todd Field
Dans la pénombre des coulisses, Lydia Tár (Cate Blanchett) se tient droite, regard fixe. Brève inspiration nasale, bras sèchement croisés, torsion de la bouche, souffle exhalé et comme repoussé d’un geste de la main : difficile alors de discerner ce qui relève du rituel ou de l’accès de nervosité. Une jeune assistante (Noémie Merlant) approche, tête baissée. Sans un mot, elle tend à la compositrice et cheffe d’orchestre une solution désinfectante pour les mains, ainsi qu’un médicament et un verre d’eau. Puis un homme demande à Tár si elle est prête. Réponse affirmative, d’une voix profonde et assurée. La rumeur venue du hors-champ se transforme en une vague d’applaudissements.

La circonstance de cette entrée en scène triomphale n’est pas un concert, mais une conversation publique avec Adam Gopnik. Manière commode, dès l’entame du récit, d’établir la stature internationale du personnage. La séquence, toutefois, se dédouble : tandis que le journaliste du New Yorker égrène distinctions et accomplissements, l’image montre les étapes de confection d’un costume. Son modèle en est celui porté par Claudio Abbado sur un enregistrement de la Cinquième symphonie de Mahler. Alors que Tár s’apprête elle-même à livrer une interprétation de cette pièce avec le philharmonique de Berlin, quelque chose l’incite non à se démarquer, mais à imiter.
Hommage ou facétie ? La façon dont Tár s’ingéniera par la suite à reproduire la pochette de ce disque suggère peut-être surtout une recherche inquiète de légitimité. Le scénario, volontiers elliptique, suscite nombre d’interrogations, mais aucune n’est aussi profonde que celle portant sur le parcours de la musicienne.
À l’heure de sa déchéance, Tár retrouvera le modeste foyer familial. Dans la maison vide, elle joue quelques notes sur le piano désaccordé du salon, puis contemple ses médailles et diplômes encore accrochés aux murs lambrissés de sa chambre. Son trésor est une collection de VHS pieusement alignées des leçons de Leonard