Art contemporain

Sculpter le flou – sur l’exposition « Philippe Cognée. La peinture d’après »

Critique

Au Musée-Atelier Bourdelle, le flou des peintures de Cognée, la densité et la précision des sculptures de Bourdelle sont associés, le temps de quelques mois, pour un dialogue de sourds, où l’effroi et la colère rencontrent l’indifférence. Œuvres picturales d’un aspect mouillé, presque brouillé ; Cognée pulvérise la netteté des images, parfois avec quelques larmes.

Le geste de l’un tremble, celui de l’autre affirme. Il n’y a rien d’évident au dialogue de la peinture embuée de Philippe Cognée avec les imposantes sculptures de Bourdelle. Leur puissance expressive, presque martiale, semble loin de l’évanescence que poursuivent les visages et rayons de supermarchés floutés du peintre, dont la technique, à l’encaustique et au fer à repasser, liquéfie les contours.

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Ce n’est qu’une impression. Ces deux lignes, tremblante et héroïque, affirmative et hésitante, se croisent et se rencontrent, dans le bel espace de brique, de bois et de végétation du Musée-Atelier Bourdelle.

Ils ont cent ans d’écart, usent de matériaux différents. L’un, né en 1861, sculpte, fut le praticien de Rodin, dont il s’émancipe à partir de 1905, en simplifiant les formes, délaissant les rugosités, aspirant à une structure plus dense. L’autre, né en 1957, peint (pas seulement) ; il a inventé un geste pictural propre, par lequel on reconnait immédiatement ses tableaux à l’aspect mouillé, comme saisi à travers des larmes ou une vitre humide, effet qu’il obtient en mélangeant des pigments à de la cire d’abeille puis en chauffant la surface de la toile au fer à repasser, l’ayant préalablement recouverte d’un film plastique. Il en résulte un aspect brouillé, troublé, qui pulvérise la netteté des images – photographies du réel – dont le peintre s’inspire.

Où est l’état d’âme partagé, dans quelles œuvres se trouvent la sensation commune, l’écho ou le contraste qui pourrait mener de l’un à l’autre ? La scénographie organise, délicatement, sans insistance, les conditions de la rencontre ; en installant des œuvres en presque face-à-face, en les faisant se regarder de loin. Sur une même ligne, quoiqu’en léger décalé, se succèdent les gueules béantes de Bourdelle et les têtes sauvages en bois, taillées à la tronçonneuse, de Philippe Cognée. Ses « têtes d’homme » évoquent, par leurs yeux absents et leurs nez triangulaire, les énigmatiques figures de l’île de Pâques.


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