Art contemporain

Un temps suspendu – sur l’exposition « Avant l’orage »

Philosophe

Cheminement de l’ombre à la lumière à travers les œuvres d’une quinzaine d’artistes qui métamorphosent l’espace de la Bourse de Commerce sur fond de dérèglement et de menace climatique, Avant l’orage donne l’impression d’un temps suspendu, entre le pré- et le post-apocalyptique. Délicatement sublimée et sans cesse rappelée, la catastrophe se fait-elle ainsi concrètement ressentir ?

L’art contemporain est souvent bavard. Nombre d’expositions, surtout quand elles sont thématiques, charrient avec elles leur lot de commentaires, entretiens, cartels explicatifs et autres médiations qui enrobent les œuvres dans un discours qui parfois les expliquent et leur donnent du sens, parfois les orientent et les écrasent. S’en dégage alors l’impression que ce n’est pas seulement de l’art qu’on vient contempler, mais un propos qu’il faut tenter de comprendre.

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Le discours qui accompagne l’actuelle exposition à la Bourse de Commerce – Pinault Collection se veut expressément écologique. Son titre même, Avant l’orage, fait résonner la menace d’une catastrophe à venir. Et c’est, comme le rappelle le livret, « sur fond de dérèglement climatique, dans l’urgence de notre présent comme dans l’œil d’un cyclone », que le visiteur est alors invité à découvrir les œuvres d’une quinzaine d’artistes issues de la collection de l’homme d’affaire. La luxueuse architecture de l’ancienne Bourse de Commerce, restaurée et transformée entre 2017 et 2020 par l’architecte japonais Tadao Ando, n’a pourtant rien d’austère ou d’inquiétante, au contraire. Sous l’impressionnante coupole traversée de lumière aussi bien que dans les innombrables salles feutrées où sont installées les œuvres, on se sent loin de tout péril. Et pour cause.

C’est là tout le paradoxe de ce type d’expositions et de l’esthétique soft-apocalyptique qu’elles développent. La catastrophe (écologique) est sans cesse rappelée – dans les œuvres, les titres, les cartels –, tout en étant délicatement sublimée. Chez François Pinault – dont la fortune, rappelons-le, s’est essentiellement constituée sur le commerce de bois, la distribution (FNAC, La Redoute) et le luxe – on peut ainsi traverser des « jardins sombres » où se déploient paysages crépusculaires, arbres convalescents, forêts et villes irradiées, nuages d’incendies, déchets industriels et créatures étranges. L’atmosphère est ténébreuse, parfois lugubre, ma


[1]Pierre Leyris traduit : « C’est ainsi que finit le monde / Pas sur un boom, mais sur un murmure. » (dans La Terre vaine et autres poèmes, Paris, Seuil, 2014, page 116).

 

Cyril Legrand

Philosophe, Enseignant au Lycée européen de Villers-Cotterêts

Notes

[1]Pierre Leyris traduit : « C’est ainsi que finit le monde / Pas sur un boom, mais sur un murmure. » (dans La Terre vaine et autres poèmes, Paris, Seuil, 2014, page 116).