Séries télé

Du wasabi dans les yeux – sur Succession

Critique

La quatrième saison de la série Succession termine le cycle shakespearien du clan Roy, ce consortium familial, cet essaim politique et empire de la gêne. Avec elle s’achève une grande fiction critique du capitalisme tardif.

À la toute fin de la saison 3, les showrunners de la série Succession abandonnaient leurs spectateurs au beau milieu des paysages toscans. Sur la terre des Médicis et de Machiavel, la tête de l’empire médiatico-financier Waystar-Royco tremble.

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Kendall Roy (Ken), Siobhan Roy (Shiv) et Roman Roy (Rome), les trois enfants et héritiers légitimes dudit empire viennent de commettre un parricide symbolique. Unis pour une fois, et parlant d’un seule voix, ils ont enfin osé dire non à « Dad », c’est-à-dire à papa, c’est-à-dire au patriarche Logan Roy, fondateur et empereur de la Waystar Royco, un conglomérat international qui s’occupe du divertissement sous toutes ses formes, des parcs à thèmes débiles aux chaines d’ultra droite, en passant par les croisières en très gros paquebots.

L’empire de la gêne s’accroît

En trois saisons, la série Succession, pilotée par Jesse Armstrong, a imposé sur les plateformes mondiales un certain style identifiable : une forme de documentaire animalier chez les 1 % les plus riches de New-York, des dialogues ciselés, crus et parfois sur-écrits qui invitent le spectateur non-anglophone à revoir certaines séquences, des conflits intrafamiliaux cruels où se mêlent la filiation et l’économie (c’est-à-dire la politique), des effets de zoom et un étrange ton comico-cynique où l’on ne sait jamais distinguer lequel de l’un ou de l’autre l’emporte sur l’un ou l’autre.

Mais ce n’est pas dans tel ou tel de ses aspects formels que Succession se démarque de la production industrielle contemporaine, mais plutôt par l’instillation sourde d’une émotion diffuse, d’un affect singulier. Regarder Succession, c’est faire l’expérience d’une certaine contraction du corps ou de grincements de dents. On éprouve par moment l’envie d’interrompre le flux du récit sériel, on voudrait être ailleurs, on ne sait plus où se mettre. Car Succession s’apparente à un vaste empire de la gêne, un affect minoritaire mais important.

Mais qu’est-ce que la gêne ? La gêne advie


[1] Heiner Müller, « Shakespeare une différence », traduction de l’allemand par Jean Morel, dans Anatomie Titus Fall of Rome, Paris, Minuit, 2001, p. 122.

Romain de Becdelièvre

Critique, Producteur à France Culture, Dramaturge

Rayonnages

Télévision Culture

Notes

[1] Heiner Müller, « Shakespeare une différence », traduction de l’allemand par Jean Morel, dans Anatomie Titus Fall of Rome, Paris, Minuit, 2001, p. 122.