L’or de vivre – à propos d’Anna-Eva Bergman
Il est toujours très émouvant d’entrer dans une œuvre, pas à pas, et de se sentir emporté par une démarche, une vie, une gestuelle de création[1].

Une telle intelligence de l’émotion est rendue possible par l’idée même de rétrospective, qui, lorsqu’elle est bien faite, épouse l’évolution d’une œuvre sans la brusquer : en appuyant sur les moments de transition, sur les brusques revirements dans la trajectoire d’une vie ; en maintenant à la fois une pudeur face aux aléas biographiques tout en donnant des clés essentielles de lecture. C’est ce qui se produit ici, au Musée d’Art Moderne ; et c’est parce que ces épiphanies d’expositions sont rares, portées par un souffle qui se déploie et se relance, qu’il faut en souligner toute la portée.
On entre dans l’exposition par un autoportrait de 1946, de dimension modeste, réalisé à un moment charnière dans le parcours de vie de l’artiste : d’immenses yeux bleus nous accueillent, et l’on peut deviner, dans la physionomie silencieuse du visage, une sorte de sagesse feinte, comme si l’énergie d’un grand feu y était retenue, pour surgir d’un coup du froid bleuté de la toile. Ces yeux bleus nous racontent les premières années de la vie d’artiste de Bergman, marquées par une recherche autour de l’abstraction – en vue d’atteindre un « art d’abstraire ». Il s’agit chez elle d’une quête de la composition totale, de la perfection des proportions et de l’harmonie universelle. Sa recherche se déploie alors en écho avec la théorie goethéenne des couleurs, en dialogue avec l’étude systématique du nombre d’or, et l’observation des merveilles spiralées de la nature. C’est un apprentissage nécessaire pour celle qui commença sa carrière d’artiste en publiant des illustrations et des caricatures : en une satire sociale ou amusée, puis pendant la seconde guerre dans des journaux de résistance.
Plusieurs ruptures vont devoir s’opérer chez Bergman. D’une part, amoureusement, lorsqu’elle se sépare d’Hans Hartung rencontré sans doute trop