Cinéma

Frémissements –  sur La Sorcière et le martien de Thomas Bardinet

Critique

Tourné dans le cadre de l’Atelier de Bricolage Cinématographique que Thomas Bardinet anime depuis dix ans à Floirac, en Gironde, La Sorcière et le martien s’offre comme un conte plein de délicatesse sur ce qui nous attache aux autres et à la Terre.

Une adolescente surgit dans le cadre et, le souffle court, interpelle une fille en train de lire sous un parasol. La forêt dans son dos serait pleine de monstres. Qui veulent la « ranger » ? La « changer » ? Non, la « manger », répète de plus en plus excédé le jeune réalisateur, lui-même s’obstinant à appeler son actrice « Lena » et non « Lina ».

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Entre les prises, la lectrice, dont le rôle est muet, s’inquiète de l’intensité de son interprétation. Tout en encourageant les élans autoritaires du cinéaste, elle lui demande s’il sait à quel poème elle songe pour avoir cet air si pénétré. Magie de l’art : il devine du premier coup.

Ouvrant La Sorcière et le martien, la mise en abime semble d’abord valoir comme avertissement. Le film que vous allez voir est, pour une part essentielle, l’œuvre de non-professionnel·le·s. La malice de la scène tient toutefois au renversement de cette évidence : il ne s’agit pas de s’excuser, mais de suggérer par contraste que l’amateurisme a ses qualités propres. Les tensions jaillissent en effet d’une volonté de tenir son rang, d’être « pro ». Des rapports de pouvoir, presque parodiques, s’imposent là où il ne devrait y avoir que jeu et joie. L’actrice rabrouée disparaît bientôt derrière le rideau d’arbres, comme après elle un gardien de but chétif, visiblement terrorisé à l’idée de recevoir le ballon sur le coin de la tête.

De l’extérieur, la forêt a des allures de gouffre, sombre bouche avalant les enfants apeurés. D’une voix douce, un visage de pierre nous rassure. C’est en réalité un refuge. Il est tentant d’y voir une analogie avec le film lui-même, territoire mystérieux où le moindre frémissement (des corps comme des feuilles) peut devenir un événement. L’amateurisme désignerait alors une certaine qualité de vibration, ainsi qu’une manière délicate, bienveillante, de faire place à la fragilité – d’une parole, d’un regard, d’un geste, d’une présence. Fragile ne veut pas dire faible, mais qualifie plutôt un état à cheval entre


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