Littérature

Rouler des mécaniques – sur Grip d’Elsa Boyer

Journaliste, critique littéraire et écrivain

On peut lire Grip comme un record de style où il s’agirait d’écrire dans le français le plus rapide qui soit, comme si chaque phrase était un tour chronométré, chaque mot un virage à négocier au plus serré. Pour autant, ce roman ne saurait se réduire à cette célérité syntaxique. Mais le plus important c’est qu’Elsa Boyer arrive à rendre toute la beauté impure de ce sport qui mêle l’argent, l’image, le spectacle, l’ingénierie de pointe, la stratégie, et surtout ce rapport inouï, laborantin, millimétré, insaisissable pour le commun des mortels, entre le corps et la machine.

On peut bien sûr s’étonner qu’une femme écrive un roman sur la Formule 1 mais ce serait faire fausse route. La catégorie reine des sports mécaniques a toujours recherché comme une licorne la femme pilote qui pourrait rivaliser avec les hommes sur les circuits du championnat du monde.

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L’histoire retient que depuis la naissance de la compétition en 1950, cinq femmes ont disputé au moins une manche du championnat et que l’une d’entre elles, Lella Lombardi (surnommée « La tigresse de Turin ») a remporté un demi-point en finissant – par chance, il est vrai – en sixième position d’un dramatique et écourté Grand prix d’Espagne en 1975, où un accident causa la mort de quatre personnes. Depuis les ténèbres de mon enfance me revient cette imbécile sentence misogyne : « Femme au volant, mort au tournant. »

L’avant-dernière femme à avoir piloté une F1 se nomme Suzie Wolff. C’était en 2014, pas en course, il est vrai, mais lors d’une séance d’essai. En mars 2023, Stefano Domenicali, le big boss de la Formule 1, lui a confié la direction de la F1 Academy, un nouveau championnat 100 % féminin qui se court à bord de Formule 4 afin « de promouvoir un bouleversement dans notre industrie en créant la meilleure structure possible pour trouver et faire éclore des talents féminins dans leur chemin vers l’élite du sport automobile, sur et en dehors de la piste ».

Si machisme et machine sont deux mots qui se ressemblent, la Formule 1 doit pourtant participer à une autre course sans fin, celle du monde comme il va, en intégrant deux de ses révolutions en cours : la révolution féministe et la révolution écologique. Depuis les années 50, la voiture a participé à la libération de la femme (qu’on songe aux pages qu’écrit Simone de Beauvoir sur le sentiment de liberté qu’elle éprouve en possédant sa première voiture alors que Jean-Paul Sartre, semble-t-il, n’a jamais passé son permis de conduire ; ou à Françoise Sagan et son goût des bolides).

Quant à la révolution écologique… On ne se


Arnaud Viviant

Journaliste, critique littéraire et écrivain