Le pâton, l’effigie et le cristal – sur des œuvres de Nadia Beugré, Roger Ballen et Ana Vaz
Sur la scène de la petite salle du Théâtre de la Ville (Espace Cardin), à Paris, deux jeunes femmes malaxent un énorme pâton ; elles se le lancent, le jettent au sol, en arrachent des morceaux qu’elles envoient sur le mur au fond du plateau ; l’une en fait un chapeau qui enfouit sa tête, l’autre une culotte qu’elle noue autour de sa taille, les deux un bâillon et elles se tiennent alors droites face au public. Le pâton que pétrissent les femmes ivoiriennes devient une matière à modeler, un corps auquel on donne les formes que prend son désir ou son émotion du moment, travestissement, colère, sexe, raillerie, dérision, bébé qu’on embrasse et qu’on berce. Mais c’est aussi, toujours, le travail, tâche à accomplir, le pain doit bien se faire, il faut nourrir la famille, alors on y revient, on malaxe, on l’aime et on le hait.

Les deux danseuses-performeuses sont Christelle Ehoué et Anoura Aya Larissa Labarest, les deux « filles-pétroles » que la chorégraphe Nadia Beugré a choisies pour ce spectacle dont elles sont à la fois les interprètes et les personnages. « Pétroles » parce les artistes ivoirien.n.es « s’évaporent comme le pétrole à l’air libre », renoncent, changent de métier, passent à autre chose, « personne n’y fait attention, personne n’y croit »[1]. Dans Filles-Pétroles, on les voit, on les écoute, et on y croit.
Et pourtant, elles ne font, tout au long du spectacle, qu’être elles-mêmes, raconter leurs histoires, danser leurs danses (coupé-décalé, roukasskass), faire leurs numéros (harangues de l’une, saltos de l’autre), l’écriture est volontairement lâche, suite de saynètes que seule la présence du pâton semble pouvoir relier. Être elles-mêmes. C’est le problème, précisément. Comment être soi-même quand on est menacé d’évaporation, que les hommes qui vous emploient, les « stars » de la musique ivoirienne, oublient de vous payer, que vous serez toujours, où que vous alliez, les filles d’Abobo ou de Yopougon, quartiers populaires d’Abidjan, que ce rega