Du droit à la parole au droit à la terre – sur Charrue tordue d’Itamar Vieira Junior
Un grand couteau déniché par deux sœurs dans un tas de vêtements de leur grand-mère, la curiosité enfantine d’en connaître le goût, un sursaut brusque et du sang qui coule.

L’ouverture in medias res du roman d’Itamar Vieira Junior donne le ton de son récit et en esquisse le thème fondateur, celui du droit à la parole. La grand-mère exhorte ses petites filles aux yeux ébahis : « ‘Parlez !’, a-t-elle dit, en menaçant de nous arracher la langue, sans se douter que l’une de ses petites-filles serrait déjà la sienne au creux de sa main ». À travers la figure de la catachrèse, métaphore passée dans la langue courante, se dessine un jeu de revirement du sens propre au sens figuré. Langue sectionnée, voix muselée. « L’une de nous s’était amputée, mais l’autre, quand bien même elle s’était sévèrement entaillée, était loin d’avoir perdu sa langue ». En écho au mythe de Philomèle, revendiqué par le féminisme occidental, le silence forcé devient une injonction à la résistance.
Dans un pacte d’interprétation, telles Philomèle et Procné, les deux sœurs Bibiana et Belonísia, qui se confondaient déjà par les sonorités semblables de leurs prénoms, développent une méthode d’interprétation corporelle permettant à l’une de combler les manques de l’autre. Cette symbiose sororale, assortie d’une dépendance mutuelle, sera mise à l’épreuve par des conflits amoureux entraînant le départ de Bibiana hors de la fazenda. Malgré l’éloignement causé par l’amour du même homme, les deux sœurs retrouvent leur communion dans la défense d’une même cause : celle de la lutte pour la terre.
Se déroulant dans le Nordeste au Brésil, le roman donne à voir le système d’exploitation des travailleurs de la fazenda d’Água Negra, microcosme présenté comme un miroir grossissant des injustices au Brésil, qui ne sont pas moins criantes dans « la vie en dehors » selon l’expression d’une des sœurs. Malgré l’exploitation, les travailleurs sont attachés à la terre qui les a vu naître. La tension monte quand l