Littérature

Survivre dans la simulation – sur La Mer de la tranquillité d’Emily St. John Mandel

Critique

Entre la terre et la lune, le sixième roman d’Emily St. John Mandel déploie un récit-nébuleuse où les personnages et les temps s’entrecroisent, pour résonner les uns avec les autres jusqu’au vertige. Elle assigne ainsi de nouveaux territoires à la science-fiction spéculaire et spectaculaire traditionnelle.

La romancière canadienne Emily St. John Mandel a connu un succès planétaire avec la publication en 2014 de Station Eleven, un beau roman post-apocalyptique (aujourd’hui adapté en série sur la plateforme Prime). Elle y raconte, depuis plusieurs points de vue et sans linéarité chronologique, ce qui advient avant et après une foudroyante épidémie, la « grippe de Géorgie ».

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En quelques jours, cette affection respiratoire sournoise terrasse plus de 90% de la population mondiale. Par des aller-retours entre les mondes d’avant et d’après et parmi tout un peuple de personnages, le récit d’Emily St. John Mandel enregistre la survie ordinaire (et extraordinaire) de la « Symphonie Itinérante », un groupe théâtral et musical lancé sur les routes d’Amérique du Nord. Cette troupe joue le répertoire de William Shakespeare devant des restes de population humaine, dispersée parmi les ruines. Inutile de dire qu’après l’année sanitaire 2020, le statut du roman et de son autrice se sont largement métamorphosés, pour le meilleur et peut-être aussi pour le pire. Après un autre beau roman polyphonique et a-chronologique L’Hôtel de verre, Emily St. John Mandel revient aujourd’hui avec ce nouveau texte qui développe une nouvelle fois plusieurs intrigues parallèles, en esquissant quelques incursions franches dans le genre science-fictif.

L’intrigue de La Mer de la tranquillité se prête difficilement à l’exercice – un peu idiot mais nécessaire – du résumé. On a souvent l’habitude de comparer les romans aux intrigues plurielles à des bosquets d’arbres, à des pelotes de fil, ou à toute chose impliquant des nœuds et des embranchements. Les romans d’Emily St. John Mandel, qui dessinent plusieurs embranchements et de nombreux nœuds, n’échappent pas à ces métaphores. Néanmoins, au début de son récit, La Mer de la tranquillité installe dans un ordre chronologique quatre espace-temps, découpés en chapitres bien clairs et bien distincts, avant que tout se noue.

1912 – 2020 – 2203 – 2401

A l’


[1] Une bourgade imaginaire, inventée par Emily St. John Mandel dans son roman précédent L’Hôtel de verre.

[2] Le titre du roman d’Olive Llewellyn fait peut-être référence au film L’Année dernière à Marienbad d’Alain Resnais, mais peut-être est-ce un tropisme de français…

[3] « Comment construire un univers qui ne s’effondre pas deux jours plus tard », conférence de Philip K. Dick donnée en 1978.

 

Romain de Becdelièvre

Critique, Producteur à France Culture, Dramaturge

Notes

[1] Une bourgade imaginaire, inventée par Emily St. John Mandel dans son roman précédent L’Hôtel de verre.

[2] Le titre du roman d’Olive Llewellyn fait peut-être référence au film L’Année dernière à Marienbad d’Alain Resnais, mais peut-être est-ce un tropisme de français…

[3] « Comment construire un univers qui ne s’effondre pas deux jours plus tard », conférence de Philip K. Dick donnée en 1978.