Barbe à papa – sur Rosalie de Stéphanie Di Giusto

Chercheur en littérature

Stéphanie Di Giusto s’inspire de la vie d’une célèbre femme à barbe pour imaginer une fable sur la différence et l’acceptation de soi. Décrit par sa réalisatrice « avant tout » comme « une histoire d’amour », et suivant en effet les chemins balisés du drame romantique, le film n’aborde que très superficiellement les questions soulevées par ce destin singulier, qu’elles concernent les normes de genre, les corps perçus comme anormaux, la mise en scène ou l’exploitation de ceux-ci.

Le personnage de Rosalie Deluc (Nadia Tereszkiewicz), s’inspire de Clémentine Delait (1865-1939), entrée dans la postérité comme la femme à barbe de Thaon-les-Vosges.

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Relevant un jour le défi d’un client de son café, celle-ci se laisse pousser la barbe qu’auparavant elle prenait soin de raser, ce qui lui vaut une certaine célébrité locale. Les retombées économiques sur le café (rebaptisé « le Café de la Femme à barbe ») se font sentir, et elle commercialise elle-même un grand nombre de cartes postales à son effigie.

C’est de cette trame biographique que part Stéphanie Di Giusto pour développer sa fiction : comme l’indique le nom même de son héroïne, à la fois transparent et autre (Delait/Deluc), le film n’est pas un biopic, et si l’histoire nous rappelle quelque chose, on la reconnaît comme à travers un miroir déformant de fête foraine. La femme à barbe historique et son reflet ont quelques points communs : ce fameux défi relevé, le café devenu populaire, la vente de cartes postales. En outre, le refus de s’exhiber en tant que phénomène humain (ce que contrairement à son double fictif, Clémentine fera tout de même occasionnellement à la fin de sa vie), la santé précaire du mari, le désir d’adopter une petite fille (Rosalie en sera empêchée, pas Clémentine). C’est à peu près tout.

Les autres intrigues que développe la réalisatrice à partir de ces éléments biographiques sont donc d’autant plus significatives qu’elles ne se fondent sur aucune réalité historique. À commencer par celle qui structure entièrement le film, des premières scènes au final pathétique : la longue épopée d’Abel (Benoît Magimel) pour changer de regard sur sa femme, dont la pilosité le répugne et dont la barbe, arborée fièrement, l’humilie. Ce dégoût, surmonté in extremis mais qui nous est présenté comme tout naturel, et avec lequel nous sommes vraisemblablement invités à sympathiser, fait écho au rejet de Rosalie par l’ensemble des villageois, influencés par le machiavélique patron (Benj


[1] Émilie Notéris, « Pour un regard féministe », Débordements, 2020.

[2] Voir l’excellent article d’Eva Belgherbi « Un pas en avant, trois pas en Pionnières », un carnet genre et histoire de l’art, 2022.

Arthur Ségard

Chercheur en littérature, Doctorant à l'Université de New York

Notes

[1] Émilie Notéris, « Pour un regard féministe », Débordements, 2020.

[2] Voir l’excellent article d’Eva Belgherbi « Un pas en avant, trois pas en Pionnières », un carnet genre et histoire de l’art, 2022.