Littérature

Puissances de la littérature – sur Puissances de l’art ou la Lance de Télèphe de Bertrand Leclair

Écrivaine

Dans Puissances de l’art ou la Lance de Télèphe, Bertrand Leclair fait de la pratique artistique, dont la littérature fait partie, une voie d’accès vitale à une expérience de la connaissance. Comme Proust a pu le dire, l’intelligence doit reconnaître que l’instinct y est déterminant. L’art permet de creuser dans les couches de nos représentations figées de la réalité pour, grâce à lui, retrouver la joie d’un rapport au monde.

Comment rendre compte sans l’étrangler d’un livre aussi sensible, aussi intelligent, aussi proliférant et aussi inclassable que Puissances de l’art ou la Lance de Télèphe ?

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S’agit-il d’un essai ? d’un roman ? du roman d’une pensée ? de l’expérience d’un écrivain qui se laisse parler par un autre (Proust en l’occurrence) ? d’un recueil de digressions vagabondes, d’un livre de questions où chacune ouvre sur une autre, infiniment ? Et pour commencer celle-ci : quelles sont ces choses qui nous empêchent d’habiter le monde ?

À quoi Bertrand Leclair, parlé par Proust, répond ceci : ce sont nos raisonnements, nos conventions, nos habitudes, nos stéréotypes et nos idées reçues qui nous privent de l’expérience du vivant ; qui nous privent de ce que nous enseignent sensuellement et impérieusement nos corps ; qui nous privent de ce qu’on appelle la vie matérielle, absolument inséparable de la vie spirituelle.

Car Proust le constate chaque jour davantage : l’intelligence ne nous est que d’un piètre secours pour saisir et traduire nos impressions, bien qu’il n’y ait qu’elle pour proclamer que c’est l’instinct qui occupe la première place, et que c’est cette vitalité instinctive, mais profondément enfouie sous nos représentations figées, que le geste artistique libère.

Pour le dire autrement, il y a le savoir, dit Leclair, et il y a la connaissance qui fait partie prenante du savoir, la connaissance qui risque à tout moment de déborder ce savoir (on peut accumuler par exemple tous les savoirs sur la faim, mais seul celui qui l’a éprouvée et subie en a une connaissance), cette connaissance, dit-il, qui risque de mettre ce savoir à mal, de l’excéder, de le désordonner et par là-même, de le régénérer. Et Leclair de citer un autre exemple, celui, légendaire, de Newton devant la chute banale d’une pomme, vision qui va secouer et revivifier tous les savoirs que le savant avait, jusque-là, accumulés.

Mais le problème, souvent est que ce savoir classé, répertorié, solidifié, th


Lydie Salvayre

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