Hommage

Fondu au noir – sur « A gift, with love… » de Marc Camille Chaimowicz

Critique d'art et commissaire d’exposition

L’exposition « A gift, with love… » est présentée au Consortium Museum à Dijon jusqu’en novembre 2024. Elle réunit un ensemble unique d’œuvres de l’artiste Marc Camille Chaimowicz (1946-2024), décédé en mai dernier. Ce texte prend ancrage dans cette exposition pour rendre hommage à une œuvre singulière, qui n’a cessé d’inspirer plusieurs générations d’artistes et de commissaires d’exposition.

Marc Camille Chaimowicz est décédé le 23 mai 2024. Depuis le 27 mars dernier, le Consortium Museum, situé à Dijon, présente une exposition intitulée « A gift, with love… », dédiée à un ensemble d’œuvres issues de ses propres collections – dont plusieurs ont fait l’objet d’une donation récente par l’artiste – et de celle du Fonds régional d’art contemporain de Bourgogne. L’exposition invite aussi à découvrir trois films, dont The Casting of the Maids, réalisé en 2012.

« A gift, with love… », dont le titre a été choisi par l’artiste, évoque une adresse à la fois précise et élusive ; elle témoigne d’une relation privilégiée avec la ville de Dijon à travers les institutions et les personnes qui ont soutenu son travail depuis les années 1980, en particulier Xavier Douroux, historien de l’art, créateur des Presses du réel et co-fondateur du Consortium qu’il a dirigé jusqu’à son décès en 2017.

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Marc Camille Chaimowicz vivait à Londres. Il est arrivé avec sa famille en Grande-Bretagne à l’âge de 8 ans, après avoir quitté Paris où il est né « après-guerre ». Sa mère était française, de confession catholique ; son père polonais, de confession juive. En France, c’est à Dijon – où il a longtemps enseigné à l’école d’art – qu’il a tissé des liens durables. Il vécut aussi plusieurs années à Vienne ; et à travers son œuvre, au gré d’expositions et de commandes, il n’a cessé d’explorer des facettes particulières de l’histoire de l’art, de l’architecture et des arts décoratifs en Europe. Il gardera tout au long de sa vie un attachement puissant à ses différentes cultures européennes et les méandres de leurs histoires.

Pour ce lecteur passionné et assidu, les livres, comme la musique, ont été des espaces essentiels de déploiement de son imaginaire et de sa sensibilité, façonnant sa relation à la sociabilité. Il fréquentait les personnages de romans et leurs auteur∙ice∙s, créant avec elles et eux des liens singuliers. Dans un entretien avec l’artiste Lucy McKenzie et l’écrivain Michael Bracewell en 2011, il explique s’être formé au contact de Bob Dylan, Jean-Luc Godard ou Albert Camus, dans un mouvement de rébellion contre les positions conservatrices (et particulièrement élitistes) de ses enseignants en école d’art.

« I remember a tutorial in art school, one of the staff asking, “Do you work to music or not?” The question was then asked of the head of the painting school, and in a most snobbish kind of way he said, “I do, but of course only classical music,” and we thought, “You asshole”. »

Portraits fictionnels

« Emma » : on lit ce prénom distinctement, écrit dans la largeur d’un tapis présenté dans la première salle de l’exposition au Consortium. Placé sur un socle gris incliné, caractéristique des dispositifs scénographiques conçus par Chaimowicz, ce tapis est placé là telle une signature, ornée d’un ensemble de motifs abstraits aux couleurs pastel. Lorsque ce tapis rejoint la donation qu’il fait au Consortium, Marc Camille Chaimowicz travaille intensément à une série de collages intitulés Dear Zoë qui ont été présentés lors de l’exposition « Nuit américaine » au Wiels à Bruxelles en 2022. Ces collages, adressés à la commissaire de l’exposition Zoë Gray, constituent une correspondance épistolaire et un corpus d’œuvres inédites dans lequel le personnage d’Emma Bovary tient une place centrale. Flaubert aurait notoirement évoqué son identification avec son personnage.

Dans ses œuvres, Marc Camille Chaimowicz a souvent opéré des formes de superposition entre des personnes réelles et des alter-ego fictifs, aimant entremêler différentes temporalités, et différents lieux, faisant surgir la fiction dans le réel. Sa relecture de Madame Bovary eut lieu une décennie plus tôt, lorsqu’il travaille sur une version illustrée du roman pour la collection The Familiars aux éditions Four Corner. Il conçoit alors 250 illustrations inédites pour accompagner le roman en anglais ; ces dernières mêlent sa pratique du dessin à celle de la photographie et du collage.

Cette iconographie extraordinairement riche et hétéroclite trouve sa source dans des collections de magazines de mode de différentes époques, mais aussi des images religieuses ; elle situe de manière fictive le roman dans la ville de Dijon et ses paysages environnants, et met en scène Emma Bovary à travers Marta, une femme de son entourage professionnel.

Une décennie plus tard, la complicité avec la curatrice Zoë Gray naît dans le contexte difficile de la pandémie. À partir de 2020, Marc Camille Chaimowicz se met durablement à l’écart des interactions sociales physiques. Pendant cette période, il recentre une partie de son travail sur une pratique quotidienne du collage. Alors Emma resurgit, personnage dont le goût pour les correspondances épistolaires, le rapport à la sensualité, le désir d’émancipation et ses frustrations, semble puissamment faire écho à l’expérience de l’artiste à ce moment-là. Dans les 40 collages que comptent la série, deux motifs prédominent : la figure de l’oiseau et celle des barreaux, convoquant un imaginaire carcéral.

Dans l’œuvre de Chaimowicz le portrait se situe au seuil entre la réalité et la fiction, dans l’ambiguïté d’une subjectivité dont il refuse de figer l’interprétation. Il réclame un droit à l’ambivalence, à l’opacité. Ses œuvres, adressées à des personnes, des personnalités ou des personnages qui suscitent son intérêt, ou son affection, convoquent un récit autofictionnel, toujours objet de réinventions.

« My work is never about self-portraiture, that is clear. » (Marc Camille Chaimowicz dans un entretien avec l’architecte Roger Diener.)

Dans cette démarche de portraitiste, on est ainsi invité à explorer Jean Cocteau ou Jean Genet à travers des mises en scène caractéristiques de l’aménagement de l’espace domestique, du décor théâtral ou de la pratique de l’installation, associant objets manufacturés et œuvres d’art, sans hiérarchie. Les figures invoquées ont en commun des dispositions à transgresser les normes sociales, et se distinguent par leur existence en marge de leurs milieux social et culturel.

Dans l’espace éphémère de ses expositions, Chaimowicz met en scène la rencontre entre figures réelles et fictionnelles et introduit une incertitude essentielle à l’endroit de l’identité. Il invente une pratique artistique dégagée de l’enjeu de la représentation et entièrement dédiée à la matérialisation de la vie affective et onirique, tournée vers l’invention de soi.

Here and There

L’œuvre de Marc Camille Chaimowicz tient une place unique dans mon parcours de curatrice et de critique. Elle a été le lieu de convergence de nombreuses affinités et d’amitiés ces dix-huit dernières années, par-delà les générations, avec Hubert Besacier, Catherine Wood, Zoë Gray, Marie Canet, Laurence Gateau, Capucine Perrot ou Alexis Vaillant. Apprenant son décès, je retraçais le chemin parcouru depuis mes premières rencontres avec ses œuvres en 2005 à Londres, et notre première collaboration en 2006. Dix-huit ans, une métaphore éloquente, celle de l’âge d’une maturité présumée, de la possibilité d’accéder à une autonomie, désirée autant que redoutée.

Marc Camille Chaimowicz a été pour moi à la fois une figure artistique marquante d’un point de vue esthétique et politique, mais également une figure d’attachement, un ami, dont le départ marque une absence douloureuse. Son travail cristallise un ensemble de souvenirs et d’affects, étroitement liés au déplacement, quittant Paris pour Londres, sans rien connaître de la ville et de la culture britannique. L’expérience londonienne a été le lieu de l’exploration de démarches artistiques plurielles, qui s’inscrivaient en rupture avec un ensemble de pratiques artistiques et de positionnements critiques dominants auxquels j’avais accès à ce moment-là, en France, dans les lieux et les espaces que je fréquentais.

C’est sur la scène du Barbican Theatre en 2005, lors d’une pièce de Merce Cunningham, que je découvre Two-speed staircase, une sculpture, ou quasi architecture, de Marc Camille Chaimowicz. Elle fait partie d’un ensemble d’œuvres au statut ambigu, existant en différentes versions. Peint dans une palette allant du gris, au lavande, au mauve et au violet, cet escalier tenait le rôle d’objet scénographique devant lequel performaient les danseur∙euse∙s.

À la même période, Alexis Vaillant, commissaire d’exposition français, et Alex Farquharson, commissaire britannique, imaginaient Le Voyage Intérieur Paris-London afin de faire se rencontrer des œuvres empruntées aux scènes artistiques des deux côtés de la Manche qui constituaient, selon eux, une généalogie empreinte d’ambivalence et d’excès. « Une mise en vue d’objets récents, et problématiques, qui n’en font qu’à leur tête, se foutent de modèles théoriques des années 70-90 qu’ils connaissent, contredisent la « dématérialisation » des œuvres d’art d’il y a quarante ans, invalident le relationnel, poussent à la contemplation amusée de l’objet d’art, agacent en affirmant que le décoratif peut être une forme de résistance, mettent joyeusement en avant un pessimisme à l’égard du monde actuel qui n’est pas sans rappeler celui des décadents du XIXe siècle (…) » (Alexis Vaillant, « De l’intérieur », Le Voyage Intérieur Paris-London, 2006).

Les deux commissaires avaient été marqués par la Chambre Cocteau de Marc Camille Chaimowicz, installation conçue comme un « boudoir » dédié à l’écrivain, mettant en scène ses propres œuvres aux côtés d’éléments de mobilier de designers (Alvar Aalto ou Marcel Breuer), et des œuvres d’autres artistes (Andy Warhol, Cerith Wyn Evans, Marie Laurencin, Enrico David ou Paulina Olowska).

Dans un parcours de commissaire, la rencontre avec un artiste comme Marc Camille Chaimowicz est cruciale. Elle force l’humilité face à une telle capacité à mettre en scène un ensemble hétérogène d’objets, défaisant les hiérarchies entre beaux-arts et arts appliqués sans affirmation péremptoire, affirmant un goût pour le déséquilibre et les contrastes. Si fabriquer une exposition s’apprend aux côtés des artistes, il fut impossible pour moi d’en singer la pratique du display. Mais c’est dans la proximité avec Marc Camille Chaimowicz, en s’immergeant dans l’histoire de sa démarche, en explorant avec attention le large spectre de ses références artistiques et littéraire, encouragée par l’artiste lui-même à questionner ma place et mon rôle, que ma démarche de critique a pu se déployer : décalée, occupant une multiplicité de places, acceptant d’être introduite dans l’imaginaire et la fiction.

Genet here we come !

Quittant le Consortium après ma visite de l’exposition, longeant la rue Crébillon, je suis arrêtée par la fresque murale réalisée par l’artiste en 2013, intitulée For the girls… Des nœuds colorés – motif récurrent dans le travail de Chaimowicz dans ces années 2010 – s’élèvent le long d’un pan de mur étroit. Un an plus tôt, il terminait la réalisation du film The Casting of the Maids, inspiré par le texte Les Bonnes de Jean Genet, que nous avions tourné à Agey, à quelques kilomètres de Dijon.

Dans le film, aux côtés de deux autres femmes, j’ai incarné tous les personnages : les deux sœurs, employées de maison au service de Madame, la grande bourgeoise qu’elles décident d’empoisonner. À travers la forme du casting, le film explore l’espace entre le personnage et celui ou celle qui l’incarne, la porosité entre leurs personnalités, l’espace liminal entre la réalité et la fiction.

Dans le village d’Agey, Marc Camille Chaimowicz avait acquis une partie d’une grande bâtisse, ancien château, où il a investi la maison comme un atelier ou une installation à part entière. Une version plus petite de l’escalier à deux vitesse (Two-speed staircase) y était utilisée pour relier l’espace de la cuisine au reste de la maison. Depuis 1972, date à laquelle l’Arts Council lui avait octroyé un atelier d’artiste dans l’est de Londres, à Approach road, Marc Camille Chaimowicz avait pris l’habitude de s’approprier son lieu de vie comme un espace de travail et de création. Là, il a ainsi engagé son corps comme élément de l’œuvre.

L’attention qu’il porte à l’espace et la temporalité de la vie intime, la confusion qu’il construit consciemment entre des pratiques dites des beaux-arts et celles appartenant au champ des arts dits décoratifs, ou du design, la dimension performative, parfois théâtrale, dans son travail, ont positionné sa démarche en marge des pratiques de ses pair∙e∙s dans les années 1970 et 1980. Il a ainsi contribué à l’émergence des questions liées au genre dans les pratiques artistiques d’une manière singulière, distincte des démarches se situant à l’intersection des pratiques artistiques et militantes, associées aux luttes féministes et aux sexualités dissidentes. Marc Camille Chaimowicz a néanmoins pris soin de nourrir le trouble dans sa pratique à l’endroit du genre, de l’identité et de la sexualité.

En 2009, nous débutions une conversation autour de Jean Genet, auteur qui tenait une place importante dans ses références littéraires et politiques. Notre dialogue s’est poursuivi pendant plusieurs années sur les traces de Genet, au gré de différents temps de travail à Agey, dans la Nièvre et le Morvan, et au Maroc.

Devant la tombe de Genet dans le cimetière espagnol de Larache, pendant l’espace de quelques minutes pendant lesquelles la fille du gardien m’offrait des fleurs fraichement cueillies, je suis devenue selon l’artiste une sorte de Notre-Dame des Fleurs. Je retrouvais avec surprise, dans un film de la réalisatrice Dalila Ennadre intitulé Jean Genet, Notre-Père-des-Fleurs, cette même petite fille et son frère. Un homme âgé y évoque sa rencontre avec Genet pendant son enfance : « Quand on était petits, on chassait les oiseaux là-bas. Assis ici même, quand il nous voyait il venait nous rejoindre. Lorsqu’il arrivait, il voyait que notre cage était pleine. Il nous disait : “Combien vous me faites le tout ?” Il nous les rachetait un dirham la pièce. Il les achetait tous et il les libérait. »

À plusieurs reprises dans ses expositions Marc Camille Chaimowicz a introduit des canaris en liberté. Je me souviens de les avoir vus au centre d’art la Synagogue de Delme en 2013, puis à nouveau dans l’exposition « Forty and Forty… » à Berlin. Ce geste m’amusait autant qu’il m’émouvait. Pourtant Marc Camille Chaimowicz ne cherche pas à provoquer l’émotion, il se tient à une certaine distance des affects par ces allers-retours incessants entre le réel et la fiction, la personne et le personnage. C’est une forme d’empathie qui est au cœur de son œuvre, beaucoup d’opacité et de pudeur ; et « un érotisme discret » (Dan Fox).

Suites sans fin

Parmi l’ensemble des œuvres réunies au Consortium, on remarque la récurrence d’œuvres qui offrent une expérience hybride, convoquant indifféremment la peinture, la sculpture, voire l’architecture, sous la forme d’objets mobiles que Marc Camille Chaimowicz désigne à travers les termes de « paravent » ou de « suite ». Le paravent autorise une partition temporaire de l’espace. Dans une pièce de théâtre qui aborde la guerre d’Algérie, Jean Genet choisit pour décor une série de paravents ; et ce décor donna son titre énigmatique à la pièce.

Dans l’œuvre de Chaimowicz, les paravents ont plus souvent une forme courbe et sont percés d’ouvertures – plus rarement en zigzag comme dans le Folding screen (Five part), 1979 qui appartient à la collection de la Tate. Ils sont constitués de bois marqueté, de toile peinte ou de papier peint. La forme du paravent se décline aussi sous forme de panneaux qui ne découpent plus l’espace, mais sont simplement inclinés contre la paroi des murs. La Suite de Varsovie (1993-1994) et The Frankfurt Suite (2011) en sont deux exemples.

Ces deux œuvres incarnent ce que l’artiste désignait comme « le papier-peint du pauvre », des motifs peints à l’acrylique à même le mur, qui s’incarne ici dans ces parois désarticulées. « C’est une manière d’incorporer le sens du temps, la légèreté de l’acte, le caractère éphémère de l’installation dont certains éléments se présentent comme des pages à tourner. La négligence affectée, délibérément jouée pour renforcer cette idée de provisoire, est parfaitement calculée, infiniment composée », écrit Hubert Besacier à propos de La Suite de Varsovie. Les villes convoquées par les œuvres ont profondément inspiré le travail pictural de chacune des pièces.

Le terme de « suite » contient une grande polysémie, en français comme en anglais, dont Chaimowicz avait tout à fait conscience. Admirateur d’Andy Warhol, il a très tôt investi la question du multiple, de la reproduction, cherchant à inscrire dans le champ de l’art des gestes non héroïques, teintés de nonchalance et d’affection. Invité, à partir de la fin des années 1990, à exposer des œuvres clé datant des années 1970 telle que Celebration ? Realife, initialement présentée dans l’exposition « Three Life Situations » à la Gallery House à Londres en 1972, Marc Camille Chaimowicz a initié des reprises de ses œuvres, prenant soin d’actualiser le titre et la datation des pièces en indiquant « revisited » ou « recalled ».

La performance constituait un aspect important de son travail dans les années 1970 comme la performance intitulée Shoe Waste, dont la documentation est conservée dans le fonds d’art contemporain de la ville de Paris. Réalisée en 1971 à Londres, elle consistait à répandre sur la chaussée des chaussures usagées, peintes de couleur argent.

En 2006, Partial Eclipse…, performance datant de 1986, est présentée à la Tate Britain lors de la Tate Triennale, dans le cadre d’un programme de performances et est activée à deux reprises, par l’artiste et par Florian Sumi, artiste alors étudiant à Dijon. Une série de diapositives sont projetées dans un espace sombre ; les images montrent l’intérieur d’un appartement londonien – elles nous emmènent dans ses pièces, passant sur des objets, des meubles, et montrent un homme, Chaimowicz, évoluant dans un espace extrêmement composé. Une voix off se fait entendre et se superpose aux images ; une femme essaie de qualifier l’atmosphère du lieu, le mode de vie de l’artiste et peut-être leur relation. La voix du personnage masculin, l’artiste lui-même, se fait entendre à son tour. Sa présence est déjà deux fois incarnée à travers son image dans les photos, et son errance énigmatique dans l’espace scénique de la performance, croise le faisceau lumineux de la projection, rentre dans l’écran, et s’insère à nouveau dans les images à travers l’actualité de sa présence physique. La fumée de sa cigarette se mêle à la lumière du projecteur.

Différentes temporalités se juxtaposent, et les deux narrateurs rappellent constamment au spectateur l’ambigüité des scènes qu’ils regardent. Partial Eclipse… invente une forme cinématographique qui mêle performance et photographie, déplaçant la perception de l’expérience vécue dans l’espace construit de la fiction. Entrée dans la collection de la Tate, Chaimowicz a écrit un protocole qui permet à la performance d’être présentée en son absence dans les conditions qu’il a déterminées.

En 2023, invitée à proposer une visite publique de l’exposition « Nuit américaine » au Wiels, j’ai été bouleversée par l’omniprésence des barreaux dans les collages de Dear Zoë. Les souvenirs d’Un chant d’amour de Genet ont afflué, et les séquences du film se sont enchevêtrées aux images dont Emma est l’héroïne. Dernier plan du film : Un bras passe à travers les barreaux de chacune des deux cellules voisines. La main gauche balance une guirlande de fleurs attachée à une corde; la main droite l’attrape aussitôt. Les deux mains se retirent lentement et disparaissent à l’intérieur de chaque cellule. Fondu au noir et fin…

L’exposition « A gift, with love… » est présentée au Consortium Museum à Dijon du 27 mars au 3 novembre 2024.

Marc Camille Chaimowicz, Writings and Interviews, 2024, édité par Alexis Vaillant, Sternberg Press, à paraître en octobre 2024.


Vanessa Desclaux

Critique d'art et commissaire d’exposition