Ratiocinations – sur Les Enchanteurs de James Ellroy
Afin d’éviter tout procès en mesquinerie, jalousie ou dénigrement gratuit, commençons par établir une vérité (c’est-à-dire la vieille justification : d’où parle-je ?) : James Ellroy est un très grand romancier, un inventeur de forme et un laboureur de fond, un de ceux qui marquent leur époque et inspirent des générations d’écrivains – l’auteur de ces lignes inclus.

Il a donné un coup de fouet au roman noir dans les années 1980 et 1990, comme l’avait fait Jean-Patrick Manchette à la fin des années 1970, sauf qu’Ellroy l’a fait de manière internationale et non pas exclusivement en France, pays qui bénéficie néanmoins de sa clause de « nation favorisée », comme en témoigne la dédicace de son dernier ouvrage, Les Enchanteurs, adressée à son éditeur hexagonal, François Guérif.
Le grand apport d’Ellroy au polar, genre dans lequel il s’inscrit au sens large, aura été d’y insuffler un souffle épique et romantique. Dès ses débuts, il s’est emparé de vulgaires histoires de flics et de malfrats, dont certaines déjà racontées par d’autres, pour les transformer en fresques imprégnées de bruit et de fureur, de sang et de sexualité refoulée, allant même jusqu’à redéfinir la géographie : sous sa plume, Los Angeles devient Gotham City, West Coast.
Puis, à partir de sa trilogie Underworld USA[1], il a élargi sa palette en surajoutant à ses récits la politique et les coulisses de l’histoire américaine des années 1960. Il le clamait devant le moindre micro tendu devant ses lèvres il y a une trentaine d’années : Ellroy ne voulait plus boxer dans la catégorie « pulp fiction » mais dans celle de « Guerre et Paix ».
C’est donc à cette aune qu’il faut évaluer son dernier roman Les Enchanteurs, que l’on groupera avec celui qui le précède, Panique générale, puisqu’ils mettent tous deux en scène le même protagoniste, Freddy Otash, ancien journaliste/maître-chanteur de la presse tabloïd reconverti en exécuteur des basses œuvres du Los Angeles Police Department (LAPD), autrement dit, u