Hommage

Des bernacles agrippées à la coque d’un bateau – sur Robert Coover (1932-2024)

Écrivain, traducteur

Le 5 octobre, l’écrivain Robert Coover s’est éteint. Lui qui vécut son écriture avec l’exemplarité de qui s’emploie à détruire par la fiction les fondements de l’ordre établi, ou plutôt à interdire l’établissement définitif de tout ordre, n’en resta pas moins un enfant espiègle pour qui le principal, après tout, fut de s’amuser et d’inventer par ses livres, futiles, des règles pour vivre le monde autrement. Le temps est venu de lui rendre hommage.

J’ai beau chercher, je ne retrouve pas notre tout premier échange dans ma boîte mail. J’ai dû le supprimer ; ou il a fait les frais d’un changement de machine ou de messagerie. Je ne me souviens plus exactement de la formulation non plus, mais je me rappelle la brièveté de la réponse et sa teneur.

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J’étais étudiant et débutais une thèse de doctorat. Savoir que l’auteur sur lequel je travaillais n’était qu’à un clic de distance, juste derrière mon écran – c’était tentant. Après pas mal de tergiversations, j’ai fini par appuyer sur envoi : je venais de me présenter à lui – à celui que je n’appelais pas encore Bob à l’époque (il m’aura fallu plusieurs années pour me dépêtrer de ce « Dear Mr. Coover » en en-tête de chaque correspondance). Je lui confiais mon admiration en quelques lignes et lui demandais s’il accepterait éventuellement de répondre aux questions que je pourrais me poser pendant l’écriture de ma thèse. « Bien sûr » : sa réponse est tombée quelques heures plus tard, à peine, dans ma boîte mail, même s’il s’empressait d’ajouter qu’il valait mieux attendre qu’il soit mort, sans doute, pour commencer à décortiquer son corpus. C’était au début des années 2000 – 2004 peut-être ? Je ne sais plus exactement.

5 octobre 2024. Vingt ans plus tard. La mort, cette grande ironiste, a emporté Robert Coover le jour de mon anniversaire. Les chiffres, les dates étaient pour lui une façon comme une autre de structurer notre expérience du réel, des balises dans le tohu-bohu du monde (un mot dont il aimait la gémellité, tohu et bohu, ces « deux sinistres compagnons d’un cru ancien » qui font une dernière apparition vers la fin de Mascarade, son ultime roman). Je sais que cette date ne veut rien dire. Même si je revois son sourire en coin, son regard malicieux derrière ses lunettes toujours un peu embuées sous l’épaisse broussaille de ses sourcils. Comme lorsqu’il guettait une réaction à une blague qu’il venait de raconter.

La dernière fois qu’on s’est vus, c’était en


[1] Publié en 1966 et lui ayant valu le prestigieux prix de la William Faulkner Foundation à la suite de Cormac McCarthy ou de Thomas Pynchon, The Origin of the Brunists demeure inédit en français, comme sa suite, The Brunist Day of Wrath, publié un demi-siècle plus tard, en 2014.

[2] Recueil de nouvelles paru en 1969, Pricksongs & Descants a été fugacement publié en français, dans une version tronquée au titre improbable de La Flûte de Pan, aux éditions Gallimard, en 1974. Les nouvelles férocement originales de ce recueil ont exercé, et exercent encore, une influence considérable sur les lettres américaines. La citation est donnée dans ma traduction.

Stéphane Vanderhaeghe

Écrivain, traducteur, Maître de conférence à l'université Paris VIII Vincennes – Saint-Denis

Notes

[1] Publié en 1966 et lui ayant valu le prestigieux prix de la William Faulkner Foundation à la suite de Cormac McCarthy ou de Thomas Pynchon, The Origin of the Brunists demeure inédit en français, comme sa suite, The Brunist Day of Wrath, publié un demi-siècle plus tard, en 2014.

[2] Recueil de nouvelles paru en 1969, Pricksongs & Descants a été fugacement publié en français, dans une version tronquée au titre improbable de La Flûte de Pan, aux éditions Gallimard, en 1974. Les nouvelles férocement originales de ce recueil ont exercé, et exercent encore, une influence considérable sur les lettres américaines. La citation est donnée dans ma traduction.