Exposition

Une traversée spatiale – sur « Chantal Akerman. Travelling » au Jeu de Paume

Critique

Dans Women Sitting After Killing, avec l’image de cette femme, assise, qui vient de commettre un crime, et délibéremment muette, comme dans D’Est, où pas une parole n’est prononcée, Chantal Akerman aime à produire ces images si éloquentes qu’aucun mot n’est nécessaire. Éloquentes, oui, comme le silence familial, la mémoire fissurée, intransmissible de la Shoah que la fabrique d’images – cette transgression juive – permet un peu de combler.

«J’ai été élevée dans un lycée à la dure, et j’ai violemment rejeté toute la culture classique, celle des musées », affirmait Chantal Akerman dans l’entretien qu’elle a accordé à Élisabeth Lebovici pour Libération en 2002, à l’occasion de la onzième documenta, une manifestation artistique qui se déroule tous les cinq ans à Cassel, en Allemagne, et pour laquelle Akerman présentait une installation nommée From the Other Side, un film réalisé à la frontière entre le Mexique et les États-Unis. Elle s’était « prise au jeu de l’art », selon ses propres termes.

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Née à Bruxelles en 1950, dans une famille juive émigrée de Pologne depuis quelques générations, et décédée à Paris en 2015, Chantal Akerman est cette immense cinéaste mondialement reconnue pour son œuvre cinématographique, notamment Jeanne Dielman, 23 quai du Commerce, 1080 Bruxelles (1975), Je, Tu, Il, Elle (1974) et Saute ma ville (1968). Pourtant, elle n’a jamais cessé d’aller au-delà de ce que permettait le cinéma, comme en témoigne le formidable recueil Chantal Akerman. Œuvre écrite et parlée, récemment publié aux éditions L’Arachnéen, qui compile ses lettres, ses textes et ses scénarios inachevés, établissant une continuité certaine entre tous les aspects de son œuvre, résolument expérimentale.

À vingt et un ans, après quelques films déjà et un bref passage à Paris, elle quitte Bruxelles pour New York, cette ville où elle se sent étrangère ; elle y découvre le cinéma expérimental, l’œuvre de Michael Snow, d’Yvonne Rainer, de Jonas Mekas – qui a, lui aussi à son arrivée à New York, filmé les immigrés et les parias de l’Amérique de l’Est – et se rend régulièrement à l’Anthology Film Festival. Bruxelles, puis New York et Paris – « son camp de base » –, Chantal Akerman n’a pourtant jamais cessé de sillonner le monde pour tourner des images au fil des conflits et des combats de l’époque.

Au Jeu de Paume à Paris, une exposition nommée « Travelling », d’abord pensée par Laurence Rassel pour le musée des Bea


[1] Chantal Akerman, « Le frigidaire est vide. On peut le remplir », in Chantal Akerman. Autoportrait en cinéaste, Paris : Centre Pompidou/Paris : Cahiers du cinéma, 2004.

[2] Chantal Akerman, « Women Sitting After Killing » (2001), in Chantal Akerman. Œuvre écrite et parlée, 1968-2015, vol. 2, édition établie par Cyril Béghin, Paris : L’Arachnéen, 2024, p. 962.

[3] Céline Brouwez, Marta Ponsa, Laura Rassel et Alberta Sessa, Chantal Akerman : travelling, Bruxelles : Bozar-Palais des Beaux-Arts/Tielt : Lannoo, 2024, p. 115.

[4] Ibid.

[5] Ibid., p. 164.

[6] Chantal Akerman, notes du script, 1974.

Mathilde Cassan

Critique

Rayonnages

Cinéma Culture

Notes

[1] Chantal Akerman, « Le frigidaire est vide. On peut le remplir », in Chantal Akerman. Autoportrait en cinéaste, Paris : Centre Pompidou/Paris : Cahiers du cinéma, 2004.

[2] Chantal Akerman, « Women Sitting After Killing » (2001), in Chantal Akerman. Œuvre écrite et parlée, 1968-2015, vol. 2, édition établie par Cyril Béghin, Paris : L’Arachnéen, 2024, p. 962.

[3] Céline Brouwez, Marta Ponsa, Laura Rassel et Alberta Sessa, Chantal Akerman : travelling, Bruxelles : Bozar-Palais des Beaux-Arts/Tielt : Lannoo, 2024, p. 115.

[4] Ibid.

[5] Ibid., p. 164.

[6] Chantal Akerman, notes du script, 1974.