Hommage

La route tortueuse de l’émancipation – sur le cinéma de Shyam Benegal (1934-2024)

Politiste

Shyam Benegal fut l’un des grands cinéastes indiens des trente dernières années du XXe siècle. Il posa un regard singulier sur les hiérarchies de castes et de classes ainsi que sur les traditions religieuses hindoues et proposa un cinéma de lutte, avec des personnages forts et des manières de faire aussi inédites qu’inclusives. Face au nationalisme hindou qui gagne, chaque jour, du terrain, son cinéma est une arme pacifiste et unitaire.

Décédé le 23 décembre 2024 à l’âge de quatre-vingt-dix ans, le cinéaste indien Shyam Benegal laisse derrière lui une œuvre foisonnante. Moins connu à l’étranger que son illustre contemporain Satyajit Ray, il s’est pourtant forgé une solide réputation dans son pays, tant par la cohérence thématique de sa filmographie que par l’originalité de ses méthodes de travail.

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Pionnier du « middle cinema », à la croisée de Bollywood et des circuits d’art et d’essai, il n’a eu de cesse de distiller ses valeurs progressistes dans des films parfois coproduits par les groupes subalternes dont ils retraçaient les luttes. Revisitant la grande histoire de l’Inde coloniale et postcoloniale à travers des documentaires consacrés à Nehru, Gandhi ou Subhas Chandra Bose, il s’est aussi et surtout illustré par des fictions chroniquant les résistances ordinaires des femmes et des dalits, des paysans et des artisans.

Alors que les nationalistes hindous, sous l’égide de Narendra Modi, s’emploient à liquider l’héritage culturel et institutionnel de la période nehruvienne, ce cinéma pourrait sembler appartenir à un temps révolu. C’est d’ailleurs sur un mode nostalgique qu’une partie de ses admirateurs le commémorent. Il mérite pourtant mieux tant ses combats et sa manière de les incarner, notamment à travers d’admirables portraits de femmes indociles, sont en prise avec les luttes du présent.

Né à Hyderabad en 1934, Shyam Benegal s’éveille très tôt aux arts visuels. Fils d’un photographe renommé, il a pour cousin le réalisateur Guru Dutt, figure emblématique de l’âge d’or du cinéma de Bombay, dans les années 1950-1960.

Dès l’adolescence, il se passionne pour le septième art et fonde le premier ciné-club de Hyderabad, qui donne le ton, dès sa séance d’ouverture, en projetant Pather Panchali (La Complainte du sentier, 1955) de Satyajit Ray, porte-étendard du courant réaliste qui commence alors à s’affirmer au sein du cinéma indien. Célébrées par la critique tant en Inde qu’à l’étranger,


Laurent Gayer

Politiste, Chercheur au CNRS (Sciences Po-CERI)

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