Littérature

Ouvrir les yeux – sur Vies et Morts de Sophie Blind de Susan Taubes

Critique

Enfin traduit en français, Vies et Morts de Sophie Blind est l’unique roman de l’écrivaine hongro-américaine Susan Taubes. Influencée par sa propre expérience d’intellectuelle empêchée, l’autrice opère une véritable plongée au cœur de la conscience de son héroïne Sophie Blind, elle aussi romancière. Une œuvre introspective et méandreuse, redécouverte plus de cinquante ans après sa première parution.

Pour la première fois traduit en français en 2025, Vies et morts de Sophie Blind a été publié aux États-Unis en décembre 1969, sous le titre Divorcing, quelques jours avant que son auteure Susan Taubes se suicide. Il faudra attendre trente ans pour que Divorcing soit de nouveau publié, en 2020, et que livre suscite l’enthousiasme qu’il mérite. On a parfois lié, sans doute un peu vite, une critique peu sentie parue dans le New York Times en 1969 et le geste tragique de Susan Taubes. Si la réception du roman s’est certes révélée décevante à l’époque, ne négligeons pas les nombreuses épreuves rencontrées par l’auteure tout au long de sa vie.

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Née à Budapest en 1928, fille de psychanalyste et petite-fille de rabbin, Susan Feldmann émigre aux États-Unis en 1939 avec son père alors que sa mère reste en Hongrie. Elle se marie en 1949 avec le philosophe et sociologue de la religion, Jacob Taubes, étudie la philosophie et la religion, fait une thèse sur Simone Weil, enseigne à Columbia, est membre du groupe Experimental Open Theater. Une biographie parue en Allemagne en 2020, sous la plume de Christina Pareigis, retrace le parcours de cette remarquable intellectuelle tout en mettant au jour les multiples empêchements qu’elle rencontre, édictés par ceux qui s’estiment être les maîtres de la pensée et dont la rigidité et la condescendance sont pour le moins rebutantes. Être fille de, être femme de, et vouloir penser par soi-même, n’est-ce pas se condamner à l’époque à souffrir et risquer une fin tragique ? Rappelons que Susan Taubes a aussi vécu l’exil et a ainsi échappé à la Shoah, demeurant toute sa vie une survivante.

Alors que Sophie Blind, l’héroïne de son récit, n’est encore qu’une petite fille, captivée par la lecture de la Haggadah pendant Pessah, elle se dit qu’ « elle préférait être elle-même que la fille du pharaon. » Ces mots d’une lucidité radicale comme bien d’autres de Vies et morts de Sophie Blind résonnent fortement avec la biographie de Susan Taubes.


[1] Michel Foucault, Histoire de la sexualité, I, La volonté de savoir, Gallimard, 1994 [première édition en 1976]

Gabrielle Napoli

Critique

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Notes

[1] Michel Foucault, Histoire de la sexualité, I, La volonté de savoir, Gallimard, 1994 [première édition en 1976]